Le professeur de Concordia Vivek Venkatesh veut tenir tête à la haine
Qu’est-ce que la haine? Comment et pourquoi manifestons-nous ce sentiment? Quelles sont les conséquences de sa censure ou du refus de l’alimenter?
Professeur agrégé de sciences de l’éducation à la Faculté des arts et des sciences, Vivek Venkatesh est également directeur adjoint du Centre d’études sur l’apprentissage et la performance. Fervent métalleux, documentariste engagé, le praticien-chercheur travaille à promouvoir la littératie numérique par une démarche participative qui lui a valu une reconnaissance internationale.
Au fil des ans, le Pr Venkatesh a dirigé plusieurs forums sur le cyberdiscours haineux afin de susciter la réflexion et d’engager un dialogue pluraliste. Ces échanges ont pour but ultime de prévenir la radicalisation et de cultiver la résilience à l’égard de la haine et de la discrimination.
Ce printemps, en collaboration avec le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et l’Association francophone pour le savoir (Acfas), le Pr Venkatesh présentera l’événement Paysage de la haine. Cette soirée alliant multimédia, musique électronique et cinéma explorera les dynamiques de négociation de la haine; elle aura lieu le 9 mai à la Coop Katacombes.
« Sortez de votre zone de confort! »
Comment vous est venue l’idée de Paysage de la haine?
Vivek Venkatesh : Elle découle d’une conversation que j’ai eue l’an dernier avec Yoan St‑Onge, du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH).
M. St-Onge avait alors montré de l’intérêt pour deux de mes dossiers, soit le festival Grimposium et le projet SOMEONE (SOcial Media EducatiON Every day; littéralement, « éducation quotidienne sur les médias sociaux »). Cette initiative internationale vise à exposer la logique du discours haineux et à dénoncer sa présence envahissante dans les médias sociaux.
Nous en sommes venus à aborder un vaste sujet : la pédagogie sociale et publique. En effet, mon travail porte notamment sur l’utilisation réfléchie et inclusive des médias numériques par monsieur et madame Tout-le-Monde. Je veux donner à ces derniers la possibilité de contribuer à la création de récits évoquant la notion de haine au sein de notre société. Bref, nous avons eu l’idée d’organiser un événement qui serait axé sur ce thème et se grefferait au congrès annuel de l’Acfas.
Pouvez-vous nous en dire davantage sur la soirée du 9 mai et sur l’objectif que vous poursuivez?
V. V. : Essentiellement, Paysage de la haine – ou « Landscape of Hate » en anglais – proposera une suite de performances multimédias improvisées. J’ai invité plusieurs spécialistes renommés de la musique électronique à ébaucher des pistes sonores.
Appuyés par cette trame musicale, nous recourrons à l’impro et à du contenu multimédia sur les concepts de haine et de discrimination pour inciter le public à faire entendre sa voix.
En bonne partie, le spectacle exploitera le matériel que j’ai colligé dans le cadre du projet SOMEONE. Cela dit, nous improviserons aussi à partir d’éléments que nous fourniront les spectateurs.
Tous les musiciens mobilisent une forte communauté de fans à Montréal. Permettez-moi de les nommer : Leticia Trandafir, étudiante à la maîtrise ès arts à Concordia et DJ sous le pseudo de « softcoresoft »; Owen Chapman, professeur agrégé de communication; et Anabasine et Filip Ivanovic, qui collaboreront avec Paul Williams sous le nom de scène de « Phil Paullins ».
La soirée prendra la forme d’un long périple musical. De diverses façons au cours du spectacle, nous encouragerons les membres de l’auditoire à réfléchir à la haine dans une optique pluraliste. Nous les inviterons à sortir de leur zone de confort sans pour autant renier leurs idéaux.
Nous voulons révolutionner cette idée qu’incarne la haine. Cessons de parler des personnes que nous détestons; pensons plutôt aux concepts sous-jacents de l’aversion que nous ressentons.
Par exemple, comment songer à la haine en tant qu’émotion potentiellement aussi puissante que la peur, le désir de possession ou l’amour, mais sans toutefois utiliser un mode de pensée binaire? À mon avis, ce genre d’exercices de réflexion fait forcément défaut dans notre société postmoderne, néolibérale, où tout un chacun s’efforce d’être un citoyen modèle.
Quels panélistes participeront à Paysage de la haine? Quelles questions aborderont-ils?
V. V. : Il y aura d’abord Cécile Rousseau. Psychiatre à l’Université McGill, elle se spécialise dans la prévention de la radicalisation. Elle a un point de vue bien éclairé sur ce que nous devrions faire pour devenir plus inclusifs, notamment dans notre évaluation psychosociale des répercussions individuelles et collectives de la radicalisation.
Ensuite, le politicologue David Morin se penchera sur l’influence que peuvent avoir des manifestations culturelles comme celle-ci sur l’élaboration des politiques publiques. En poste à l’Université de Sherbrooke, il est expert de ces vastes enjeux que sont la sécurité et le terrorisme.
La troisième panéliste, Nicole Fournier-Sylvester, est pédagogue au collège Champlain. Elle collabore également au projet SOMEONE. Comme moi, elle s’intéresse au dialogue pluraliste. Elle incite d’ailleurs ses élèves à considérer cette question sous un angle résolument novateur.
Dernier – mais non le moindre – des participants, David Hall (B. Bx-arts 1999) fera de l’improvisation visuelle tout au long de la soirée. Entre autres, ce cinéaste diplômé de Concordia présentera une vidéo insolite qu’il a réalisée. Elle accompagne la musique d’Anal Trump, un groupe grindcore dont les chansons sont entièrement composées à partir de citations de Donald Trump.
Cette vidéo divertit et dérange tout à la fois. À la fin, elle met complètement à nu la stratégie discriminatoire. Ça donne envie de vomir : soudain, on découvre tout le pouvoir de la rhétorique haineuse.
Assistez à l’événement Paysage de la haine le 9 mai, à 18 h 30, à la Coop Katacombes (1635, boulevard Saint-Laurent).
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