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Chez les personnes ayant souffert de dépression, la crainte de la récidive est puissante, mais pas universelle, révèle une nouvelle étude de l’Université Concordia

La doctorante Stephanie Gumuchian examine l’incidence des inquiétudes au sujet du caractère cyclique potentiel des troubles de santé mentale sur la vie des personnes touchées.
26 mars 2024
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Les mains jointes d'une jeune femme

Les cliniciens qui traitent des patients qui sont – ou ont été – aux prises avec des maladies graves comme le cancer connaissent bien le concept de crainte de la récidive. Le patient qui craint une récidive a tendance à éluder les rappels de la maladie, comme les rendez-vous médicaux, à faire peu de cas de l’évolution des symptômes, à se mettre à l’écart socialement, à souffrir d’anxiété et à présenter une baisse de la qualité de vie ainsi que des troubles de l’humeur.

Toutefois, comme le souligne l’équipe de recherche de Concordia dirigée par Mark Ellenbogen, professeur au Département de psychologie, dans une nouvelle étude publiée dans la revue BMC Psychiatry, peu de recherches ont été menées auprès des personnes souffrant de troubles psychiatriques, dont le trouble dépressif caractérisé, qui touche jusqu’à 300 millions de personnes dans le monde et qui présente un taux de récidive oscillant entre 50 et 85 %.

« Nombre de nos patients parlent de la dépression comme quelque chose s’apparentant à un cycle, caractérisé par des moments clés ou des dates qu’ils redoutent parce qu’ils sont associés à des épisodes dépressifs majeurs », explique Stephanie Gumuchian, doctorante au Département de psychologie et autrice principale de l’article.

« Cette crainte vécue par les patients qui se remettent d’une dépression et qui peuvent appréhender une réapparition de leur maladie est un sujet qui revient souvent dans nos observations cliniques. »

Une femme aux longs cheveux noirs vêtue de noir se tient près d'une fenêtre. Stephanie Gumuchian : « Nombre de nos patients parlent de la dépression comme quelque chose s’apparentant à un cycle, caractérisé par des moments clés ou des dates qu’ils redoutent. »

Les craintes et la capacité à y faire face varient d’une personne à l’autre

Stephanie Gumuchian et sa collègue doctorante Ariel Boyle ont mené des entretiens qualitatifs semi-structurés avec 30 participants au sujet de leur crainte d’une récidive de la dépression. Tous avaient vécu au moins un épisode dépressif majeur, mais étaient en rémission au moment de l’entretien.

Sur les 30 personnes participantes, 22, soit environ les trois quarts, ont déclaré avoir craint une récidive d’une manière ou d’une autre. La fréquence, l’intensité et la durée de ce sentiment de crainte sont variables. Plus de la moitié (53 %) ont dit vivre une telle crainte toutes les semaines ou tous les mois. Et si 66 % des participants ont déclaré que cette crainte pouvait durer quelques minutes ou quelques heures, 17 % ont indiqué qu’elle pouvait persister pendant des jours.

Les participants qui ont dit éprouver des craintes fortes ou persistantes ont déclaré que celles-ci étaient le plus souvent déclenchées par la réapparition de symptômes semblables à ceux d’épisodes antérieurs de trouble dépressif caractérisé et par le rappel d’épisodes antérieurs ou des expériences de vie difficiles. Le stress lié aux études ou au travail, les conflits interpersonnels, le sentiment de solitude ou d’incompréhension, les périodes de transition, le sentiment de perte, le deuil et d’autres événements négatifs de la vie sont autant de déclencheurs de la crainte de récidive.

Cependant, tous les participants n'ont pas réagi de la même manière à ces craintes. 

Une majorité de 57 % des participants ont associé la crainte d’une récidive à une anxiété accrue et 47 % à un changement d’humeur négatif. En outre, 37 % ont décrit un « effet boule de neige » : la crainte d’une récidive les porte à être extrêmement attentifs aux changements de symptômes, ce qui augmente leur anxiété et leur sentiment d’être dépassés et les porte à croire qu’ils augmentent leurs risques de souffrir d’un nouvel épisode dépressif.

« Ils deviennent obnubilés par ces inquiétudes et se comportent d’une manière qui, selon les cliniciens, correspond à un syndrome précurseur d’un nouvel épisode dépressif », note Stephanie Gumuchian.

D’autres réagissent toutefois de manière diamétralement opposée. En effet, quelque 40 % des personnes interrogées ont déclaré que la crainte d’une récidive les avait amenées à prendre davantage soin de leur santé mentale et à agir de manière proactive en ce sens. Dans près d’un tiers des cas, la crainte d’une récidive a permis aux participants de gagner en confiance et de prendre conscience de leurs besoins en santé mentale.

« Ils mettent tout en œuvre pour apaiser leurs craintes. Ils reprennent contact avec leurs intervenants en santé mentale et avec leurs amis, ils rendent visite à leur famille et ils utilisent des stratégies d’adaptation qui ont fait leurs preuves lors d’épisodes dépressifs antérieurs. »

Le sentiment d’être compétent et productif, les interactions sociales positives, les distractions et le sentiment d’être soutenu sont tous des facteurs qui réduisent la crainte d’une récidive, selon les chercheuses.

Des outils de détection sont en cours d’élaboration

Les chercheuses conviennent qu’il reste beaucoup à faire pour bien comprendre la crainte de la récidive. C’est pourquoi elles travaillent activement à la deuxième phase de leur projet de recherche et qu’elles ont mis au point un questionnaire pour mesurer la crainte de la récidive, celui-ci étant en cours de validation. Ce questionnaire permettra à l’équipe de mener des études rigoureuses afin de tester l’hypothèse selon laquelle des niveaux élevés de certains aspects de la crainte de la récidive pourraient augmenter le risque d’épisodes dépressifs à venir et avoir une incidence négative sur la santé et la qualité de vie. D’un point de vue clinique, les avantages sont évidents :

« À terme, nous espérons pouvoir utiliser notre questionnaire dans un contexte clinique afin de pouvoir bien saisir les craintes des patients dès qu’elles se manifestent ou encore dans un contexte de soins où le médecin pourrait dépister ces craintes, dit-elle. Idéalement, cet outil pourrait être utilisé pour détecter un fort risque de récidive chez une personne. »

Cette étude a obtenu le soutien des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) et du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).

Lisez l’article cite (en anglais) : « Fear of depression recurrence among individuals with remitted depression: a qualitative interview study. »

 



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