Le dernier recours de Concordia : une action inévitable
Cet article a été initialement publié dans La Presse et The Gazette.
Après avoir tenté sans succès pendant des mois d’engager un véritable dialogue fondé sur des données avec le gouvernement du Québec au sujet des droits de scolarité pour les étudiants et étudiantes des autres provinces et de l’étranger, l’Université Concordia a décidé de contester ces mesures devant les tribunaux. Malheureusement, nous n’avons pas d’autre choix.
Par cette décision, nous n’avons certainement pas pour but d’attaquer le gouvernement. En fait, nous convenons qu’il est nécessaire d’améliorer la formule de financement des universités étant donné le sous-financement chronique dont souffre l’ensemble des universités québécoises.
Il ne s’agit pas non plus pour Concordia de faire marche arrière en matière de francisation. Au contraire, notre engagement ferme à cet égard est antérieur à l’annonce du gouvernement au sujet des droits de scolarité, et nous sommes même allés plus loin en novembre dernier lorsque, de pair avec les autres universités anglophones, nous avons présenté un objectif commun visant à aider 40 % des étudiants et étudiantes de premier cycle non francophones à acquérir un niveau intermédiaire de compétence en français avant l’obtention de leur diplôme.
Notre décision d’entreprendre une contestation judiciaire repose essentiellement sur la défense de notre identité en tant qu’université anglophone fière de la diversité de sa communauté, de son accessibilité, de son autonomie et des services qu’elle rend à la société québécoise. Nous entendons également démontrer que le gouvernement n’a pas agi de manière responsable et raisonnable en imposant unilatéralement des changements aux droits de scolarité.
Concordia est une université anglophone dont les établissements fondateurs, la Sir George Williams University et le Loyola College, ont vu le jour au 19e siècle. Aujourd’hui, l’Université Concordia est au service de l’ensemble des membres de la société, qu’ils soient anglophones, francophones, allophones ou autochtones. Près de 70 % de nos étudiants et étudiantes viennent du Québec.
Une institution clé de la communauté anglophone
Nous plaidons que, parce que Concordia est une institution clé pour la minorité linguistique du Québec, le gouvernement avait l’obligation légale de prendre en compte les intérêts et la protection de la communauté anglophone au moment de modifier ses politiques en matière de droits de scolarité. En d’autres termes, le gouvernement devait s’assurer que tout changement ne causerait pas de préjudice indu à Concordia en tant qu’institution de la communauté anglophone.
Le gouvernement a failli à ses obligations en mettant en œuvre des politiques perturbatrices à l’égard des droits de scolarité, qui s’appliquent exclusivement aux universités Concordia et McGill et qui touchent celles-ci de manière disproportionnée comparativement aux universités francophones. À plusieurs reprises, des membres du gouvernement ont dit sans ambages que ces politiques avaient pour but de nuire à nos institutions en réduisant notre effectif étudiant, en modifiant la diversité des profils démographiques, en diminuant nos revenus et en affaiblissant notre situation financière.
Malheureusement, l’incapacité du gouvernement à trouver un équilibre entre ses objectifs déclarés et les droits de la communauté anglophone et de ses institutions dans la mise en œuvre de ces nouvelles politiques en matière de droits de scolarité est symptomatique d’une problématique plus large.
Il est évident que le gouvernement improvise depuis le premier jour : il n’a jamais présenté de données précises pour étayer ses affirmations, il a refusé de s’engager dans un dialogue respectueux ou dans une consultation constructive, il a constamment inventé de nouvelles raisons pour justifier ses décisions et il a écarté toutes les données probantes. Tout dernièrement, le gouvernement a même fait abstraction d’un rapport de son propre comité consultatif. Or, selon ses auteurs, la hausse importante des droits de scolarité compromet l’accessibilité, qui est pourtant une caractéristique fondamentale de l’approche du Québec et de Concordia en matière d’enseignement supérieur.
L’enjeu de notre contestation va au-delà des intérêts de Concordia, car nous visons à protéger l’autonomie des institutions publiques contre toute ingérence gouvernementale indue. Il est vraiment regrettable et extrêmement préoccupant qu’une université doive s’adresser aux tribunaux pour se prémunir contre les effets néfastes de politiques gouvernementales mal conçues et introduites à la hâte.
Il est aussi extrêmement désolant de constater le peu de considération que le gouvernement accorde à ses partenaires. La protection du français, la formation de travailleurs hautement qualifiés, la lutte aux changements climatiques, l’essor du milieu artistique et culturel du Québec : voilà autant d’importants dossiers qui, comme bien d’autres, ont vu l’Université Concordia et le gouvernement collaborer par le passé.
Grâce à son ouverture, à son sens de l’innovation et à son esprit de collaboration, Concordia est devenue l’une des plus grandes jeunes universités du monde dans l’une des meilleures villes universitaires du monde. Nos succès rejaillissent sur le Québec, et un Québec prospère permettra à Concordia d’en faire encore plus.
Voilà pourquoi nous demandons aujourd’hui que justice soit rendue. Nous croyons en l’importance de protéger le caractère distinct du Québec ainsi qu’en la façon dont Concordia, en tant qu'emblème des minorités culturelles, est à la fois particulièrement sensible à ce caractère unique et exceptionnellement bien placée pour contribuer à son développement futur.