Communiqué de presse
Endiguer l’étalement urbain grâce à une « utilisation judicieuse du sol »
Montréal, le 6 juillet 2016 – Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale habite en milieu urbain. Aussi le problème de l’expansion tentaculaire des villes s’amplifie-t-il. Il prend une dimension particulièrement inquiétante en Amérique du Nord, où pullulent les unifamiliales dotées d’un garage pour deux voitures.
En Europe, plusieurs pays se préoccupent de plus en plus de la question. En effet, les intérieurs spacieux attirent un nombre toujours croissant de leurs habitants.
Si la superficie des villes augmente sans cesse, à quel rythme le phénomène se produit-il? Par ailleurs, existe-t-il un moyen de ralentir cet élan expansionniste?
Selon une nouvelle étude de l’Université Concordia, à Montréal, nous pourrions en faire bien davantage pour freiner l’étalement urbain. Pour commencer, nous devrions suivre l’exemple de plusieurs pays européens.
Bien mesurer, bien cartographier
« Si nous voulons contrer l’étalement urbain, nous devons d’abord être aptes à le jauger avec exactitude », affirme Jochen Jaeger, professeur de géographie à Concordia et coauteur* d’un récent rapport produit conjointement par l’Agence européenne pour l’environnement et l’Office fédéral de l’environnement de Suisse.
« Pour y parvenir, nous avons mis au point une méthode de mesure : la “prolifération urbaine pondérée”, ou PUP. Elle prend en compte la portion bâtie d’un secteur donné, la dispersion spatiale des zones construites et le nombre de personnes qui y habitent ou y travaillent. »
S’appuyant sur la formule élaborée par le Pr Jaeger et les coauteurs de l’étude, l’équipe de recherche a passé au peigne fin des données exhaustives portant sur 32 pays d’Europe. Elle a ensuite dégagé les grandes tendances et ciblé les éléments problématiques.
Les chercheurs ont découvert que l’étalement urbain touche de vastes régions du continent européen. Très peu présent en Islande, le phénomène prend toute son ampleur aux Pays-Bas et en Belgique.
Précisément, l’expansion tentaculaire est plus prononcée dans les couronnes entourant le centre des villes, le long des principaux corridors routiers et dans les zones côtières. Comme en témoigne la performance islandaise, un faible degré d’étalement urbain est souvent lié à la présence de montagnes ou à l’éloignement des grandes agglomérations.
« Notre rapport fournit, pour la toute première fois, des données comparatives sur l’étalement urbain, et ce, pour tous les pays membres de l’Union européenne ou de l’Association européenne de libre-échange. À l’évidence, non seulement démontre-t-il que l’expansion tentaculaire s’intensifie, mais aussi confirme-t-il la nécessité d’agir sans plus tarder », explique le Pr Jaeger.
De ce côté-ci de l’Atlantique
La situation est pire en Amérique du Nord. Ainsi, d’après une étude coréalisée par Naghmeh Nazarnia, l’étalement urbain progresse à un rythme exponentiel à Montréal et à Québec.
À l’aide de la méthode de la PUP, Mme Nazarnia a comparé les deux villes. La nouvelle diplômée de Concordia a constaté que l’expansion tentaculaire s’y amplifie sans discontinuer depuis 1951 et que les hausses les plus marquées sont survenues au cours des 25 dernières années. À preuve, entre 1971 et 2011, le degré d’étalement urbain s’est multiplié par 26 à Montréal et par neuf à Québec.
« La mise en parallèle de ces résultats avec ceux d’une ville européenne, Zurich en l’occurrence, révèle des tendances contraires, souligne Mme Nazarnia. Selon nos observations, l’étalement urbain a connu ses plus fortes augmentations au Québec dans le dernier quart de siècle, tandis que là-bas, les plus importantes hausses sont survenues dans les années 1960. Forts de cette analyse comparative, les responsables de l’aménagement du territoire seront mieux en mesure de gérer l’étalement urbain. En outre, la méthode de la PUP leur servira à fixer des cibles et des limites, de même qu’à vérifier l’efficacité des mesures de contrôle adoptées. »
Freiner l’étalement urbain sans pour autant accélérer l’édification de gratte-ciel
Les chercheurs nous préviennent : si nous voulons mettre un terme à cette croissance exponentielle de l’expansion tentaculaire des villes, nous devons passer à l’action dès maintenant. Or, la solution ne réside pas dans la construction d’innombrables tours. Au contraire, l’utilisation et la réutilisation modérées du sol constituent les meilleures initiatives qui soient.
Le Pr Jaeger et Mme Nazarnia préconisent l’adoption d’une série de mesures :
- réaménagement des zones désaffectées – la transformation de quartiers auparavant consacrés à l’activité manufacturière revêt un énorme potentiel pour les villes au passé industriel, notamment Montréal;
- densification prudente de la population;
- aménagement axé sur le transport collectif, doublé d’une meilleure coordination entre les autorités compétentes et les villes; et
- mise en œuvre de règles plus strictes en matière d’urbanisme.
Mme Nazarnia fait remarquer qu’en Europe, de telles mesures sont déjà en vigueur : « Par exemple, à Zurich, le règlement urbanistique est beaucoup plus contraignant qu’à Montréal ou à Québec. De plus, le transport public y est beaucoup plus utilisé qu’ici, tandis que le trafic routier est bien moins dense. »
Des deux côtés de l’Atlantique, des moyens novateurs pour freiner l’étalement urbain sont mis en place.
« Une nouvelle directive de la Banque Alternative Suisse nous fournit un exemple éloquent. En effet, cette organisation n’accorde plus de prêts hypothécaires dans le cas de projets immobiliers qui contribuent fortement à amplifier l’étalement urbain. De même, il convient de souligner une récente décision du gouvernement canadien visant à stopper un projet domiciliaire en banlieue montréalaise, et ce, afin de protéger l’habitat de la rainette faux-criquet », se réjouit le Pr Jaeger.
« Ce sont là des pas dans la bonne direction, et j’ose espérer que cela augure bien pour l’avenir, indique-t-il. Nous avons promulgué des lois pour limiter la pollution de l’air et de l’eau. Pourquoi ne pas faire de même en matière d’étalement urbain? »
* Partenaires de recherche : Financée en partie par la Confédération suisse, l’étude sur l’étalement urbain en Europe a aussi été subventionnée par l’Agence européenne pour l’environnement (AEE). Les autres coauteurs de ce rapport conjoint de l’AEE et de l’Office fédéral de l’environnement de Suisse sont : Ernest I. Hennig (récemment boursier postdoctoral à Concordia); Tomas Soukup et Erika Orlitova (de l’entreprise tchèque GISAT); Christian Schwick (du bureau d’experts-géographes Schwick+Spichtig); et Felix Kienast (de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage de la Confédération suisse).
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© Université Concordia