Un artiste en résidence à Concordia imagine un robot musical aux destinées martiennes
Quand la NASA a confirmé la mort de l’astromobile martien Opportunity, en février dernier, de nombreux astronomes amateurs et explorateurs de l’espace virtuel ont estimé qu’ils avaient perdu un lien essentiel avec Mars.
Ce n’est pas le cas de l’artiste Jean-Pierre Gauthier. En effet, ce dernier a déjà construit un nouveau robot martien – celui-ci destiné à faire de la musique sur la planète rouge. Du nom de Colonisateur sonore, cette toute dernière œuvre d’art numérique de l’artiste sera exposée à la Conférence internationale sur la robotique et l’automatisation (ICRA) en mai, puis au Festival international d’art numérique Elektra en juin.
Une colonisation sonore de Mars
Artiste en résidence dans le cadre du programme d’intermédias – cyberarts du Département des arts plastiques, Jean-Pierre Gauthier a conçu une installation sonore robotique interactive à partir, notamment, de bras robotisés conçus et fabriqués au Québec par l’entreprise Kinova.
L’utilisateur est invité à faire bouger un des bras robotisés dans n’importe quelle direction. Ses gestes sont reproduits à distance par un deuxième bras Kinova qui active une série de dispositifs musicaux. La musique est produite par l’intermédiaire de charges électriques générées par le mouvement du bras miroir. Les charges induisent des processus numériques et actionnent des pédales sonores, produisant ainsi une musique rythmée et répétitive. Selon Jean-Pierre Gauthier, cette production de musique constitue un processus de communication entre l’utilisateur et le robot.
Un troisième bras présente le bras musical dans un paysage numérique martien qui fait de la musique sur la planète rouge. La relation à distance entre robot, artiste, spectateur et colonisateur planétaire se veut un commentaire sur le rôle que pourrait jouer un artiste au sein d’une future colonie martienne.
« Je serais ravi de voir cette installation peupler le paysage désert de la planète rouge de nouveaux sons extramartiens – comme dans une colonisation sonore de Mars », affirme l’artiste.
Des étudiants constamment à l’affût de nouvelles technologies
Dans le cadre de sa résidence d’artiste à l’Université Concordia, Jean‑Pierre Gauthier enseigne aux étudiants du premier cycle et des cycles supérieurs du programme d’intermédias – cyberarts. L’artiste est peintre de formation, mais son apprentissage de la robotique – principalement autonome – s’inspire historiquement du parcours des bidouilleurs dans ce domaine.
« Le bras Kinova a été conçu au départ par Jacques Deguire, dans son garage, en tant que dispositif d’assistance à la mobilité pour les personnes atteintes de dystrophie musculaire », précise Jean-Pierre Gauthier.
« Cette “attitude d’inventeur” est souvent le sujet de discussions animées dans mes cours », ajoute-t-il.
« Pour moi, cela a été une bonne décision de venir à Concordia, parce que je m’y trouve dans une situation d’apprentissage, fait-il remarquer. Les étudiants étant constamment à l’affût de nouveaux logiciels et de nouvelles technologies, cela me pousse à apprendre de nouvelles choses et à garder mes connaissances à jour. »
Il a travaillé sur Colonisateur sonore en collaboration avec Jean‑François Robin, étudiant à la maîtrise ès beaux-arts, notamment pour transformer un maillage numérisé en paysage martien.
S’éloigner du cliché de l’homme qui contrôle la machine
Pour la toute première fois, l’ICRA présentera le travail d’étudiants. Jean-Pierre Gauthier et Alexandre Castonguay, professeur à l’UQAM, sont conjointement commissaires de l’exposition étudiante.
Une des œuvres exposées est issue d’une collaboration étudiante entre Emma Forgues et Sam Bourgault, tous deux inscrits au programme d’études en arts numériques. Pero sans Cimon se veut une réponse à la scène exemplaire dite de la « Charité romaine », où une femme donne le sein à son père condamné à mort.
« Cette histoire est l’une des premières où l’on fait mention de la femme utilisant son corps comme moyen de production, explique Sam Bourgault. La femme dans l’histoire n’est bonne que parce qu’elle nourrit son père. »
Le duo Forgues-Bourgault a exploré durant trois ans les concepts d’installation et d’art performance. Ils ont expérimenté en adaptant à la robotique des matériaux mous, comme la silicone – utilisant cette matière pour représenter des glandes mammaires suspendues dans le vide. Celles-ci se remplissent, puis se vident grâce à un système de compresseur à air contrôlé par logiciel. Sous les glandes se trouve une carafe qui ne se remplit jamais, donnant l’idée que la machine doit produire indéfiniment.
« Nous essayons constamment d’explorer les thèmes de l’organique et de la mollesse dans une perspective technologique, souligne Emma Forgues. Nous voulons nous éloigner du cliché de l’homme qui contrôle la machine, qui revient souvent dans ce domaine. »
Sur les six créations étudiantes présentées à l’ICRA, trois sont l’œuvre d’artistes de Concordia. Les œuvres des étudiants en intermédias George Tucci (Robo Zoltar) et Paul Tremblay (Insect Robot Mind) seront également exposées.
Les roboticiens : voués à l’échec sans l’apport des artistes
La Conférence internationale sur la robotique et l’automatisation (ICRA) à Montréal est le premier colloque d’envergure mondiale sur la robotique qui traite d’emblée de l’apport des artistes à la recherche dans ce domaine, et de leur importance sur le plan social et culturel.
Professeur en intermédias, Bill Vorn prendra la parole à l’occasion d’une table ronde d’experts sur le thème Roboticists are Doomed without Artists. (« les roboticiens : voués à l’échec sans l’apport des artistes).
Dans le lieu d’exposition principal aménagé à l’occasion du colloque seront présentées les installations de Bill Vorn – Mega Hysterical Machine (« mégamachine hystérique ») (2010) – et de Jean-Pierre Gauthier – Colonisateur sonore – ainsi que d’autres œuvres d’art numérique commissariées par ELEKTRA, organisme voué à la présentation et la promotion d’œuvres d’art numérique.
Diverses propositions d’art numérique seront présentées à l’occasion de la Conférence internationale sur la robotique et l’automatisation, au Palais des congrès de Montréal, du 20 au 24 mai, puis dans la cadre du festival Elektra, du 11 au 16 juin prochains. Deux événements à ne pas manquer!