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Po B. K. Lomami

aksanti 33 (2ème partie)

2 mars au 4 mars 2023

Description de l'événement

Une matriarche s’est éteinte. Un traitement médical était sur le point d'expirer. Si nous— avec nos corps douloureux et nos esprits tortueux—ne sommes pas rentables, nous sommes à jamais jetables. / J'ai senti qu'elle savait. Elle savait que ce serait impossible. Nous n'étions pas rentables, mais nous n'étions plus dispensables. Pour quelques années. Jusqu'à ce moment-là. Jusqu'au retour annoncé de l'impossible. / J'étais consumée par cette perspective. Mais elle est partie avant. Je me suis senti brisée. À jamais ignorante et incomplète. Je me sentais aussi soulagée. Elle n'aurait plus à vivre l'impossible à nouveau. / Elle a pris mes médicaments sous mon nom. C'est devenu un lien, un sentiment que nous vivions les deux. Nous vivions les deux. Maintenant, j'ai en moi deux deuils différents mais reliés. Et je vais devoir réapprendre à rendre tout ça possible. / Je vais réciter son nom jusqu'à ce que qu’ensuite commence. Nous pouvons nous reposer et rêver en attendant ensuite. Nous pouvons imaginer et prendre soin d'elle en attendant ensuite. Nous pouvons créer des souvenirs et des futurs en attendant ensuite. / Ensuite, nous ressentirons. // aksanti 33 (2e partie) est une performance participative de trois jours, accueillant jusqu'à 33 personnes pour partager un espace intime dans le cube blanc de la galerie. Nous exercerons rendre visite, le repos et le partage des soins pour aborder la douleur, le deuil et la médication. Il s'agit d'une invitation à ressentir et à explorer le travail du temps sur nos corps, nos histoires et nos relations. Nous conserverons et archiverons cet espace-temps ensemble.

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Compte rendu askanti 33 (partie 2)

Texte de Cécilia Bracmort 

aksanti 33 (partie 2) est une performance participative et immersive qui s’est déroulée sur trois jours à la galerie FOFA du 2 au 4 mars 2023. Réalisée par l’artiste Po B.K. Lomami, cette œuvre parle de sujets qui lui sont personnels et remet en cause de nombreuses problématiques actuelles au tant au niveau politique que social.

Prenant appui sur son parcours médical, l’artiste fait part de son handicap et des douleurs qui en résulte. Iel partage également l’existence d’un médicament peu connu du grand public: Le Valtran. Cet anti-douleur possède dans sa structure une molécule et son antidote (1). empêchant de créer une addiction chez les utilisateurs.trices.

Cette révélation a de quoi déconcerter, car à l’heure de la grande épidémie des opioïdes qui touche notamment le Canada, ce produit pourrait éviter de nombreux drames. Cependant, vu sa faible rentabilité les laboratoires Pfizer, à l’origine de ce miracle, ont décidé d'interrompre sa distribution dans la plus grande discrétion en 2021. Disponible que dans quelques pays, notamment la Belgique (d’où est originaire Lomami) la date d’expiration de ses dernières fioles arrivait à la fin mars 2023. C’est à partir de cette situation et de cette urgence que la performance a pris forme. En réponse à cette décision purement mercantile, Lomami crée un espace de soin et de partage, comme un antidote momentané, à l’indifférence des compagnies pharmaceutiques et à l’inquiétude que cette disparition entraîne sur sa vie et celle de milliers d’autres personnes.

La première étape de la performance participative s’effectue en ligne lors d’une discussion préliminaire avec Lomami. C’est l'occasion de connaître plus en détail l’histoire du projet, mais aussi de poser toutes les questions en rapport avec l’expérience. La participation implique un contrat de confiance et “de partager un petit risque avec [l’artiste]”, car les participant.e.s sont invité.e.s à prendre une dose de Valtran pour ensuite partager un moment de détente avec l’artiste et 3-4 autres participant.e.s pour une durée de 3 heures. Après confirmation, l’artiste envoie les derniers détails afin de garantir le confort de ses invité.e.s.

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Voici le souvenir de mon expérience personnelle: Le Jour J, je me retrouve dans la salle d'attente. Je regarde un écran où la neige cathodique fait écho à la neige qui tombe dehors. J’entends des rires et des intonations sans comprendre ce qui se passe à l'intérieur de la galerie. Je finis par rentrer dans la salle et je me présente auprès des autres participant.e.s. Un jeu de visibilité et d'invisibilité définit grandement la performance. L’agencement de l’espace joue d'ailleurs de ce contraste. Des parties de la galerie sont dans une certaine pénombre tandis que d'autres baignent dans une lumière plus forte, comme pour distinguer les espaces de repos, des espaces d'expérimentation. Voici le moment de vérité; l’artiste et moi nous nous dirigeons sur la table éclairée avec des tubes à essai et des bocaux. Iel m’invite à choisir entre la dose symbolique (3 gouttes) ou la dose semblable à sa prise habituelle de Valtran (11 gouttes). Ma curiosité étant plus grande que mes craintes, j'ai choisi la prise de 11 gouttes. Au début, je ne ressens rien. Je m’impatiente même. Au bout d’une dizaine de minutes, une légère chaleur envahit mon corps, elle m’entoure comme une sorte de couverture invisible qui me protège et m’apaise. 

Pour cet acte de renoncement et de deuil envers son traitement, l’artiste voulait partager avec nous son expérience avec ce médicament qu’iel utilise depuis plus d’une décennie. En faisant le parallèle avec ma sensation de couverture invisible, je vois une connexion avec l’image éclairée sur le mur qui lea représente en noir et blanc vêtue d’une couverture de survie qui brille. Comme habillé d’un vêtement de lumière, Lomami semble atteindre ou observer, à travers ses lunettes de soleil, un autre espace-temps. Nous aussi, nous sommes ailleurs.  Les trois heures semblent plus courtes. On discute, on grignote, on griffonne sur les papiers à notre disposition. Selon les besoins de chacun.e., certain.e.s vont prendre une sieste tandis que d’autres continuent à discuter. On se repose, on se réveille, et on reparle de choses et d'autres. Ces moments privilégiés me rappellent ces belles discussions avec des ami.e.s lorsque tout était calme la nuit. Cette performance me reconnecte à ces instants précieux. L’effet du Valtran n’a duré que 3 heures, mais l’effet de cette performance s’est prolongé jusqu’au surlendemain. Après ce moment suspendu, j’ai décidé de prolonger cette sensation de calme mental et de prendre un instant pour me déconnecter du rythme effréné de notre quotidien, du sentiment d’urgence et du besoin de productivité sans limites.

Par cette œuvre expérimentale et engagée, Lomami crée une brèche temporelle qui permet de constater l’ampleur des impacts d’un système cynique qui privilégie les profits plutôt que le vivant. aksanti 33 est ainsi un rappel que le repos et le bien-être devraient être un droit plutôt qu’un privilège. Elle invite également à privilégier l’importance du partage et de la connexion pour contrer les mauvais effets du système capitaliste.  La création d’une archive de ces trois jours pourra d'autant plus diffuser ces réflexions et ces messages à un plus large public. C’est donc une affaire à suivre.

 

1. Le Valtran est une solution buvable en goutte composée d’un opioïde synthétique faible (tilidine) et d’un  anti-opioïde (naloxone). Référence courriel de confirmation de l'artiste, le 01 mars 2023.

 

À propos de l'autrice

Cécilia Bracmort est une artiste et commissaire française/canadienne ayant des origines caribéennes (Martinique et Guadeloupe) et vivant à Montréal. Sa pratique artistique et curatoriale se concentre sur les notions d’identité — individuelle ou collective —, de mémoire, d’histoire afin de découvrir d’autres angles de vue et obtenir de nouvelles lectures de ces notions et du monde actuel. Elle favorise dans son art ou dans ses projets le mélange des genres, la transdisciplinarité et l’expérimentation.

Titulaire d’un master en médiation culturelle et communication à Paris III Sorbonne Nouvelle, d’une licence en philosophie de l’art à Paris I Panthéon Sorbonne et d’un B.A. en Fine Arts à Bishop’s University, elle a participé à de nombreux projets dans le milieu des arts visuels à Paris et à Montréal.

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