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JULIE POULIN

Her Woven Skin

2021

Démarche artistique

Dans sa dépendance à la peau, le toucher est l’un des sens essentiels pour la survie et le développement des êtres vivants. Il permet les sensations les plus fortes, agréables ou douloureuses et il constitue un générateur non seulement de plaisirs d’une grande variété, mais aussi de sentiments parmi les plus profonds. Cette pièce représente toutes les cicatrices que je porte en tant que femme. À travers un processus de feutrage à la main long et laborieux, j’explore la dynamique entre l’importance des contacts physiques et la cicatrisation de l’usure des étapes de la vie. Illustrant mon passage saccadé, l'oeuvre Her Woven Skin (Une peau tissée) recrée des moments personnels intenses que je souhaite transporter dans l’imagination des autres en interpellant particulièrement le sens du touché.

Photo par Guy L’Heureux

Biographie de l’artiste

Née en 1988 dans la ville de Québec et basée à Montréal, Julie Poulin a amorcé sa deuxième année de baccalauréat en Pratiques des Fibres et des Matériaux à l’Université Concordia. Poulin réalise essentiellement des sculptures et des installations textiles faites de laine feutrée. En utilisant ses propres archives émotionnelles, elle aborde les chemins de vie qui nous définissent. De plus, elle interroge sa provenance et son identité en tant que rescapée d’un parcours cahoteux et inusité. Elle utilise l’abstraction, le langage émotionnel inné de la texture et l’attraction du toucher dans son travail visuel pour capturer le senti.

Photo par Guy L’Heureux

Essai

Le processus créatif comme démarche de guérison

Auteur.trice Sarah Demers

Artiste Julie Poulin

Œuvre Her Woven Skin, 2021

Dans l’imaginaire collectif, la couverture peut symboliser la protection et la sécurité. Elle rassure dans les moments de vulnérabilité physique ou mentale, une seconde peau qui protège de la froidure, de l’environnement et de la vie. Juxtaposée à la violence du feutrage humide, l’œuvre Her Woven Skin (Une peau tissée) de Julie Poulin explore le processus créatif comme démarche de guérison.

L’installation textile, composée de carrés de feutre de laine mérinos et mesurant 15 pieds de hauteur par 7 pieds de largeur, est monumentale. Malgré la structure en fibre feutrée, la texture évoque davantage la peau souple d’un animal, plutôt que le feutre épais et uniforme engendré par les procédés de fabrication industrielle habituels. La fibre, teinte avec des extraits de châtaigne, de noyer et de garance, arbore des taches brunes qui suggèrent la peau de vache et accentuent l’effet de peau tannée. Le seul indice du travail de feutrage se remarque dans le mélange des morceaux de laine vierge aux taches brunes, tels de petits nuages fibreux. Pour l’artiste, l’œuvre est un témoignage de « toutes les cicatrices que [qu’elle] porte en tant que femme (…) et comment [elle] les a “cousues” avec [sa] persévérance, [sa] diligence, [sa] passion, [ses] soins et [son] intelligence émotionnelle (…). »1 Ainsi, l’objet ne peut être dissocié de son processus de création, car c’est celui-ci qui lui donne tout son sens.

La relation intime entre le résultat final et le processus de réalisation est indéniable. Le caractère répétitif du procédé de feutrage humide se révèle être un espace mental contemplatif pour Poulin, une « bulle où les réflexions se passent. »2 De là, elle réfléchit aux similitudes entre le feutre et la peau tannée, se rappelant l’héritage autochtone de son père, Algonquin Nipissing. À ce moment, la matière prend une connotation symbolique, une sorte de « seconde peau »3 qui porte physiquement et métaphoriquement les cicatrices laissées par « les contacts physiques et l’usure des stages d’une vie. »4

Inconsciemment, par sa réalisation et son apparence, cette œuvre extériorise des blessures anciennes auxquelles l’artiste s’est accoutumée. Le résultat final, particulièrement doux et réconfortant, contraste avec le caractère exténuant et brutal du feutrage. En effet, afin d’agréger les fibres et former un textile, il est nécessaire de « frotter, taper, battre »5 la fibre animale. La technique évoque ainsi la démarche ardue que Poulin a dû entreprendre pour se sentir entière à nouveau, après avoir vécu « des moments personnels intenses. »6 L’acte de couper le textile pour ensuite recoudre les morceaux ensemble est autant un témoignage de la douleur engendrée par ces moments qu’un acte symbolique de réparation.






La technique évoque ainsi la démarche ardue que Poulin a dû entreprendre pour se sentir entière à nouveau, après avoir vécu “des moments personnels intenses.”

Her Woven Skin est, à plusieurs niveaux, une œuvre de guérison. Non seulement cette œuvre permet-elle à Poulin d’entreprendre un cheminement personnel et intime dans la réconciliation de ses sentiments et ses expériences, elle ouvre également la porte à une intimité avec les autres. Ici, le public est invité à réfléchir aux blessures anciennes que chacun.e porte en soi et à les partager.

  1. Julie Poulin, « Her Woven Skin » (Démarche artistique, 21 septembre 2021).
  2. Julie Poulin en conversation avec l'autrice, 1er juillet 2021.
  3. Idem.
  4. Julie Poulin, « Her Woven Skin » (Démarche artistique, 21 septembre 2021).
  5. Julie Poulin en conversation avec l'autrice, 1er juillet 2021.
  6. Julie Poulin, « Her Woven Skin » (Démarche artistique, 21 septembre 2021).

Photo par Guy L’Heureux




Biographie de l’auteur.trice

Sarah Demers est une étudiante de quatrième année en arts visuels à l’Université Concordia. Sa pratique est multidisciplinaire et inclut les médiums mixtes, la sculpture et l’art textile. Elle s’intéresse au rôle que joue le récit dans la création d’une réalité personnelle et individuelle ainsi que le processus créatif comme méthode de connaissance de soi et des autres. Suite à l’obtention de son baccalauréat, elle prévoit explorer davantage l’aspect transformateur et réparateur de l’art en complétant des diplômes en psychologie et en art-thérapie. Ses œuvres et essais apparaissent dans plusieurs publications, notamment le Concordia Undergraduate Journal of Art History (CUJAH) et Pica Magazine.

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