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KASSANDRA WALTERS

for my family

2020

Démarche artistique

Dans l'œuvre for my family (pour ma famille), les sculptures molles sont remplies de sucre blanc granulé. Elles fuient aux endroits où la gaze succombe au poids du sucre et se déchire. Les sacs sont déposés sur des tablettes faites de sucre, les contenants se soutiennent entre eux tandis que du sucre fondu, caramélisé et brûlé, s’écoule d’une sculpture à une autre, rappelant les chutes d’eau de la Guyane. Les formes agrafées commencent leur guérison dans l’espoir que le sucre ait suffisamment refroidi pour durcir, et ainsi protéger les blessures dont il s’échappe.

Photo par Guy L’Heureux

for my family

how do I feel close to you?
to learn where you came from,
knowledge lost with the things you had to leave behind
the details that died with you

things you could not control
that were taken from us, that we never got back
already limited resources,
spread so thin there was nothing left for me
for you
how do I heal the wounds of our family?
for us
for who we were and who we are and who we will be
so they don’t have to feel like you felt, like I feel

I tried to blame you
born into oppression, carrying the hurt of our ancestors

all their wounds and my wounds
they seep from my eyes, roll down my face, pool at my feet
they weigh me down
hold me
on this earth to feel what you felt, to be close to you

thank you,
I am sorry.

Photo par Guy L’Heureux
Photo par Guy L’Heureux

Biographie de l’artiste

Kassandra Walters est une artiste multidisciplinaire née à Tkaronto (Toronto), œuvrant actuellement à Tiohtià:ke (Montréal). Alliant l’opulence, la superposition et l’éphémère, ses œuvres témoignent de son amour pour l’agencement de matières généralement marginales. Ses œuvres actuelles font référence à son identité de Canadienne de deuxième génération et son expérience avec la maladie mentale. Dans ses travaux les plus récents, elle utilise différentes formes du sucre afin de connecter et d’occuper l’espace pour les millions de personnes touchées par la colonisation des Caraïbes. Fortement inspirée par le quotidien, elle expérimente sans cesse avec de nouveaux matériaux et des techniques inédites pour mieux concrétiser ses idées sur le plan conceptuel.

Essai

À la recherche de la matérialité de soi

Auteur.trice Hashmita Alimchandani

Artiste Kassandra Walters

Œuvre for my family, 2020

Les matériaux d’une discipline artistique ne sont jamais anodins. La sculpture peut être une réflexion sur cette question : à quoi ressemble la matérialité du déplacement? La substance du sacrifice générationnel peut-elle être contenue ou figée dans le temps?

Voici quelques-unes des questions au cœur de l’installation sculpturale de Kassandra Walters, for my family (pour ma famille). Cette œuvre se compose d’une série de pièces sculpturales, combinant et superposant des matériaux qui font référence à l’héritage guyanais de l’artiste. Des sacs en toile de jute ont été assemblés à l’aide de gaze et de flanelle, tachés de poudre de curry et du thé préféré de la mère de Walters. De l’encre, faite à partir de cendres de pin, est utilisée pour imprimer le message « thank you, I am sorry » (merci, je suis désolée) sur un tulle de nylon. Ces textiles, qui font référence au travail antérieur de Walters avec les fibres, ont été découpés et cousus ensemble afin de former des sacs qui peinent à contenir du sucre fondu et qui semblent suinter et couler. Les sacs eux-mêmes sont juchés sur des étagères fabriquées à partir de la même denrée agricole, sucrée et fondue. L’œuvre for my family illustre les processus d’une matière en mouvement, néanmoins figée dans le temps. Des liens entre déplacement et traumatisme intergénérationnel émergent à travers les fragments, les matériaux transformés.

Photo par Guy L’Heureux






Des liens entre déplacement et traumatisme intergénérationnel émergent à travers les fragments, les matériaux transformés.

La Guyane depuis sa colonisation par les Hollandais, les Espagnols, les Portugais, les Français et les Britanniques, est une grande exportatrice de sucre.1 Ses terres ont été exploitées pour leurs ressources, dans une entreprise typique d’extraction. L’économie du pays a été transformée en priorisant les plantations et les exportations agricoles. En étendant l’utilisation de ces produits du quotidien et en les incorporant dans son œuvre, l’artiste articule sa relation avec son héritage identitaire tout en témoignant sa reconnaissance envers l’émigration de sa famille de la Guyane au Canada.

Walters affirme que la création de cette œuvre reflète également sa propre lutte contre son identité guyanaise : « Il y a eu de nombreuses versions de l’œuvre, chacune traduisant au passage ce que je ressentais à propos de mon identité. »2 Au moment de la création de l’œuvre, vers la fin de l’année 2020, elle réfléchissait à la vulnérabilité et à l’importance des frontières, des thèmes qui sont également présents dans ses autres œuvres. L’œuvre for my family est en quelque sorte la réconciliation du clivage entre son identité personnelle, familiale et guyanaise. L’acte de créer fait office de thérapie pour Walters, et l’œuvre physique peut être comparée à l’expérience méditative du retour au moment présent. Cette sensation, comme distillée dans le sucre par l’artiste, se fige dans le temps par la nature sirupeuse de son mouvement. Ayant découvert le besoin de s’occuper des matériaux comme étant un acte de prise en charge, l’artiste y trouve une forme d’extension de l’œuvre même.

La question suivante se pose alors : où et quand commence et finit une œuvre d’art? Ce questionnement est aussi valable pour les questions identitaires. Le soi n’est ni fixe ni statique. Comme le sucre, il est susceptible à la standardisation et à la merci d’un environnement particulier. Ces sentiments peuvent être amplifiés lorsque des questions relevant des origines sont évoquées. La contemplation de l’identité est une expérience chargée pour les enfants de parents d’immigrants, pour les communautés racisées et pour toute personne susceptible de traverser le monde sur les contours d’une quelconque neutralité. Pour Walters, il n’y a pas nécessairement de constat définitif à établir sur ces idées. Les sculptures représentent une forme d’investigation, une façon de percer un trou dans la matière du temps pour créer des canaux de discussion entre les individus, entre les membres d’une même famille, ce que Walters confirme en indiquant : « plus j’essaie de comprendre ce que signifie mon idée, moins elle est limpide, et plus je suis en accord avec cela. »3 Il s’agit ainsi peut-être d’une trajectoire saine pour quiconque entreprend le projet de trouver un sens dans les confins du soi, en relation avec le lieu, l’action, la matérialité et l’identité culturelle.

  1. Kassandra Walters, On Coming to Terms (Montreal:2020).
  2. Kassandra Walters en conversation avec l’autrice juillet 2021.
  3. Idem.
Photo par Guy L’Heureux

Biographie de l’auteur.trice

Étudiante établie à Tiohtià:ke/Montréal, Hashmita Alimchandani est à la fois écrivaine et céramiste. Elle est actuellement rédactrice principale de la dixième édition du Yiara Magazine, un webzine étudiant traitant d’art féministe. Alimchandani a précédemment autopublié un livre de poche intitulé Log et publie certains de ses travaux dans un bulletin en ligne intitulé Word Log. Ses activités d’écrivaine et de céramiste l’ont mené à s’intéresser à la narrativité et à l’agencement de la matérialité, ainsi qu’à considérer les limites du langage comme moyen d’expression.

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