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LAURA KAMUGISHA

Mitochondrial

2019

 

Installation vidéo en couleur HD, 4 min.

Démarche artistique

Mitochondrial illustre l’impact de l’unité des femmes noires face à leur représentation dans la culture populaire. Poétique et expérimental, il met en relation, par le biais d’une allégorie auditive, la femme noire et la mitochondrie, usine énergétique de nos cellules.

Photo par Guy L’Heureux
Photo par Guy L’Heureux
Photo par Guy L’Heureux
Photo par Guy L’Heureux
Photo par Guy L’Heureux

Biographie de l’artiste

Laura Kamugisha est une cinéaste canadienne d’origine congo-rwandaise basée à Montréal. Ses films explorent les notions d’identité culturelle, de souvenirs et des bagages intergénérationnels tout cela à travers une poésie visuelle. Elle est bachelière en production cinématographique à Concordia et décrirait ses projets — et elle-même, comme sensibles, têtus et intuitifs. Ses œuvres ont été présentées dans divers festivals au Québec et à l’international dont au Festival Nouveau Cinéma, aux RIDM et à Arica Nativa Film Festival. Elle travaille présentement sur l’écriture de deux courts-métrages de fiction. Son plus récent documentaire Trait d’Union a été présenté dans plus de 20 festivals nationales et internationales.

Essai

La Matière Noire : L’Art Métabolique de la Féminité des Femmes Noires

Auteur.trice Faith Paré

Artiste Laura Kamugisha

Œuvre Mitochondrial, 2019

Avant le genre, qu’étions-nous? Des centaines de cultures et d’innombrables façons d’habiter nos corps ont été anéanties dans la cale d’un navire, par un trait dans le registre d’un marchand, dans le regard colonial ou dans le titre simple et vide de « femme noire. » « Le fait d’être répertoriées, classées, organisées au chaînon près »1 revient à se faire donner un nom, ce qui n’est pas la même chose qu’avoir un nom, tout comme la chair n’est pas la même chose que la peau.2 La réalisatrice, autrice et rédactrice Laura Kamugisha nous plonge dans un territoire inexploré avec son court-métrage intitulé Mitochondrial, qui interroge la manière dont l’intériorité de la femme noire défie la taxonomie. Comme toutes celles qui ont précédemment fortifié l’existence des artistes noires d’aujourd’hui, Kamugisha recherche la lumière en dehors du langage de la catégorisation, dans la petitesse, la détresse et l’indéfinissable. Elle répond à la question « Qu’étions-nous? » à l’aide d’un parallèle avec la mitochondrie, un organite impressionnant, mystérieux et adaptatif d’origine biologique qui produit de l’énergie.

Kamugisha amène le/la spectateur.trice à prendre connaissance des impasses sociales et symboliques, qui abandonnent les femmes noires et qui étouffent leurs histoires avant leur premier souffle. De la main habile d’une poète, elle réussit à résumer des histoires d’une violence incroyable sans fournir d’explications, et par conséquent sans offrir de spectacle — un plat de service, un gyrophare flamboyant, une aiguille et une substance bouillonnante au creux d’une cuillère. Ces images sont toutefois régénérées et recréées par la caméra, confondant la dégradation projetée à la réalité des femmes noires. Par exemple, une bouteille de vin vide et abandonnée lève l’ancre à la suite de l’éclat inattendu de verres de mer sur sa surface et d’un rouleau de papier froissé enfoncé dans son goulot. La tendresse de ce motif précis représente nos innovations dans le langage, la technologie et la géographie, dans un effort de se réinventer, selon nos termes.

Photo par Guy L’Heureux






Comme toutes celles qui ont précédemment fortifié l’existence des artistes noires d’aujourd’hui, Kamugisha recherche la lumière en dehors du langage de la catégorisation, dans la petitesse, la détresse et l’indéfinissable.

Mitochondrial est l’une de ces innovations. Dans une autre scène, un cadre vide est suspendu, telle une gueule béante. C’est un présage visuel de la violence, qui se projette sur les corps des femmes noires et qui s’impose dans notre subjectivité. L’aura de primauté du cadre est fracassée par des mains d’un brun chaleureux qui émergent de ses limites et qui tâtonnent le grain du bois pour retrouver les paumes des unes et des autres. Une réaction en chaîne de coupures syncopées s’ensuit, emboîtant d’anciens plans. Les multiples scènes défilent alors simultanément, l’une dans l’autre, dans un tunnel de visions irréelles.

Sous la forme d’un tentacule, la femme agrippe, caresse et égratigne. Un oscilloscope pulse, comme s’il manquait d’air. La courbe d’onde sur son écran d’affichage s’agite frénétiquement, en accord avec l’énergie collective des femmes. La métaphore de la mitochondrie de Kamugisha s’étend au-delà des quatre minutes du court-métrage car elle maintient la tension qui nous aligne avec le cellulaire. La métaphore est troublante puisque la science était — et reste — essentielle aux tentatives de la suprématie blanche à nous réduire à une vie dépouillée. Pourtant, nous nous dérobons aux pièges de leurs outils, comme l’oscilloscope incapable de mesurer, de consigner et de définir nos origines noires incommensurables. Il existe une partie de nous qui n’est pas sous le microscope, qui existait avant qu’ils scrutent le continent foncé de nos cœurs, avant le Big Bang ou avant le « commencement, » lorsque l’épistémologie a allumé les lumières.

La lentille de Kamugisha n’exécute pas une vivisection de la féminité des femmes noires pour localiser un noyau essentialiste, mais elle embrasse notre genèse symbiotique : « exister en vivant ensemble. »3 Le ratio doit s’élargir et le cadre doit se briser pour nous englober. La caméra fait un panoramique sur un mélange de nattes collées, de taches de rousseur, d’acné, de rouge à lèvres, d’afros, de tatouages, de cheveux fins lissés, de dents espacées et de fossettes, le tout baignant dans une lumière couleur miel. Alors que le regard ethnographique se dissipe, Linnaeus jure probablement et Agassiz se roule dans sa tombe. Laissons-les faire. Nous avons révolutionné une nouvelle technologie de vision et d’autoformation quand nous avons appris à nous connaître dans la noirceur. Le mélange moléculaire de sueur, de sang, de peau et de spirale, quand ce qui m’appartenait est devenu à toi pour toujours, nous l’appelons Noir.

  1. Mitochondrial, réalisé par Laura Kamugisha (2019; Montréal, QC : Université Concordia, École de cinéma Mel-Hoppenheim).
  2. Voir Hortense J. Spillers, « Mama’s Baby, Papa’s Maybe : An American Grammar Book » dans Black, White, and in Colour : Essays on American Culture (Chicago et Londres : The University of Chicago Press, 2003), p. 203.
  3. Duur K. Aanen et Paul Eggleton, « Symbiogenesis : Beyond the endosymbiosis theory? » Journal of Theoretical Biology 434 (12/2017), p. 99.
Photo par Guy L’Heureux

Biographie de l’auteur.trice

De descendance afro-guyanaise, Faith Paré est poète, essayiste et interprète. Elle poursuit un baccalauréat avec une mention d'honneur en  études anglaises et création littéraire avec une mineur en histoire de l'art. Ses recherches comprennent notamment la culture visuelle moderniste et contemporaine du futurisme noir-atlantique, de l’afrofuturisme et du futurisme autochtone, ainsi que l’archivistique. Faith Paré a travaillé comme assistante de recherche sous la direction de la Dre Heather Igloliorte dans le cadre d’un projet national intitulé Inuit Futures in Arts Leadership : The Pilimmaksarniq/Pijariuqsarniq Project, réalisé en partenariat avec le CRSH. Faith Paré est également coorganisatrice d’un cycle de conférences sur l’histoire orale intitulé Desire Lines : Mapping the Metadata of Toronto Arts Publishing, en collaboration avec la Galerie d’art de l’Université York, Artexte et SpokenWeb.

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