QUANG HAI NGUYEN
Dear Mom
2020
Démarche artistique
Dear Mom (Chère maman) est une série autodocumentaire qui illustre la distance affective et culturelle entre les parents immigrants et leurs enfants. Cette série explore l’espace de vie de l’artist ainsi que des images d’archive. Ce faisant, elle révèle l’histoire d’immigration de la mère de l’artiste, l’expérience d’avoir quitté son « chez-soi » et, enfin, l’histoire d’un enfant qui n’a qu’un désir : se rapprocher à nouveau de sa mère.
Biographie de l’artiste
Quang Hai Nguyen est un photographe montréalais dont le centre d’intérêt principal est la photographie documentaire. Lorsqu’il observe le monde et les gens qui l’entourent, son appareil photo lui sert essentiellement d’outil d’introspection : il devient un miroir qui reflète non seulement ce que le photographe voit à travers l’objectif, mais aussi ses sentiments intimes. Ainsi, le monde devient une page blanche pour son autonarration.
Essai
Regarder en arrière pour regarder devant
Auteur.trice Meghan Leech
Artiste Quang Hai Nguyen
Œuvre Dear Mom, 2020
Le photographe montréalais Quang Hai Nguyen utilise fréquemment son art en tant qu’outil pour apprendre à se connaître. Dans sa série photographique Dear Mom (Chère maman), il nous entraîne dans un voyage empreint de vulnérabilité, où il pose un regard sur son foyer et sa vie familiale. La série comprend un portrait récent de sa mère ainsi que des photos d’archives datant de l’époque où elle émigra du Vietnam vers le Canada. Le portrait granuleux et ses couleurs vivantes sont juxtaposés à des photographies plus anciennes. Les photos contrastent non seulement en raison de l’époque où elles ont été prises, mais aussi par l’apparence impersonnelle et détachée du portrait contemporain de sa mère. La tension visuelle met en évidence la dissonance culturelle qui semble exister entre Nguyen, citoyen de deuxième génération, et ses parents. Ce décalage crée des barrières au sein de leur relation interpersonnelle. L’œuvre illustre également le passage du temps et les conséquences qui en découlent, notamment la distance émotionnelle entre la mère et l’enfant. Dear Mom révèle qu’il est possible de tenir la relation parentenfant pour acquise, tout en oubliant que celle-ci peut s’avérer difficile à entretenir.
Dans sa démarche artistique, Nguyen exprime avec justesse ses sentiments à l’égard de sa relation avec sa mère, observant que « [la] notion de “famille” n’a plus de sens lorsque nous réalisons qu’une personne proche peut aussi être celle que nous connaissons le moins. »1 Leur distance résulte en grande partie de l’écart linguistique et générationnel. Sa mère, lorsqu’elle est arrivée au Canada, avait préparé une liste de phrases afin de naviguer l’arrivée à l’aéroport. Aujourd’hui, bien qu’elle maîtrise suffisamment l’anglais pour se débrouiller au travail, elle préfère parler vietnamien à la maison. Né à Montréal, Nguyen parle en revanche le français et l’anglais, et très peu le vietnamien. Leurs barrières communicationnelles mènent à leur éloignement croissant. Bien qu’il et elle vivent ensemble, la mère et le fils ont des définitions différentes des concepts de foyer d’appartenance. L’artiste considère le Canada comme son seul foyer, tandis que sa mère s'ennuie de son Vietnam natal et s’adapte encore à son nouveau pays.
Photo par Guy L’Heureux
Pour lui, la série parle d’“un enfant qui veut seulement être à nouveau proche de sa mère.”
Le projet aborde également le passage du temps et la façon dont il peut être tenu pour acquis. Le rythme trépidant de nos vies nous empêche parfois de vivre pleinement le moment présent, ce qui nous contraint d’apprécier rétrospectivement les événements passés et éveille en nous l’angoisse du temps qui nous file entre les doigts. Nguyen espère qu’en ré-apprenant à connaître sa mère et en compatissant à ses difficultés d’immigration, il se sentira moins éloigné d’elle et diminuera la distance qui s’est installée. Pour lui, la série parle d’« un enfant qui veut seulement être à nouveau proche de sa mère. » 2 C’est pourquoi le portrait de sa mère — le premier qu’il ait fait d’elle — la dévoile comme la femme qu’il est venu voir. Il saisit avec tendresse les mains d’une mère travaillante qui a contribué à faire venir une famille dans un nouveau pays. Si le portrait peut donner aux spectateur.trice.s une première impression de détachement, il serait plus juste de le considérer comme un moment d’intimité retrouvée. En témoignant une certaine sympathie à la femme qu’elle a été, Nguyen cherche à se rapprocher de la femme qu’elle est maintenant.
- Quang Hai Nguyen, « Dear Mom, » consulté le 24 septembre 2021.
- Idem.
Biographie de l’auteur.trice
Écrivaine établie à Montréal, Meghan Leech entame la troisième année de son baccalauréat en histoire de l’art avec une mineure en philosophie. Elle s’intéresse aux œuvres multimédias ou numériques, particulièrement celles qui explorent diverses intersectionnalités. Ses plus récents travaux de recherche portent sur l’espace d’exposition défini comme un lieu où les idées coloniales sont crées et sur les méthodes de déconstruction. Elle agira sous peu à titre de directrice de la rédaction à la revue CUJAH (Concordia Undergraduate Journal of Art History). Dans ses temps libres, elle aime pratiquer diverses formes d’art et s’adonner à des lectures qui stimulent l’imagination.