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SARA SADAWI

Ducts

2020

Démarche artistique

Ducts (Conduits) est une exploration d’objets industriels : systèmes de ventilation et conduits. Les sculptures faites en argile, un matériel généralement associé à l’artisanat, est historiquement considéré comme un travail ou un passe-temps féminin; une conséquence des idéologies patriarcales qui favorisent les performances masculines par rapport aux performances féminines. Sadawi a choisi de représenter ces idées avec ce matériel riche et délicat pour représenter des objets qui existent dans un monde dominé par les hommes. Ce projet, je vise à créer un parallèle entre entre deux mondes qui ne sont pas connectés organiquements. Malgré qu’ils sont essentiels à la fonctionnalité de la vie quotidienne, ils sont devenus un bruit de fond.

Biographie de l’artiste

Sara Sadawi est une artiste multidisciplinaire d’origine syrienne, habitant à Montréal, au Québec. Entourée d’artistes dès son enfance, elle s’est passionnée très tôt pour l’exploration des matériaux. Par la suite, elle s’est intéressée tant aux objets utilitaires qu’aux œuvres abstraites ou non fonctionnelles. Elle a étudié les arts visuels au cégep John-Abbott, où elle a reçu le certificat de mérite du Département des arts visuels. Décerné par le corps professoral, ce prix récompense l’œuvre la plus accomplie de l’exposition des finissant.e.s. En outre, Sadawi a obtenu le prix du département pour l’excellence de son travail et ses résultats scolaires. Elle a terminé son baccalauréat en beaux-arts en 2020, à l’Université Concordia.

Photo par Guy L'Heureux

Essai

Les infrastructures inattendues de l’entretien dans l’environnement industriel

Auteur.trice Madison Strizic

Artiste Sara Sadawi

Œuvre Ducts, 2020

Dans sa nouvelle installation en céramique, Ducts (Conduits), Sara Sadawi fait transparaître la modernité à travers les lignes géométriques épurées. Souvent isolées sur les toits et dans les ruelles, ces formes similaires, revêtues d’émail dans les tons de terre et d’ardoise grise, ne sont pas immédiatement reconnaissables comme partie intégrante de notre environnement. Toutefois, comme suggéré par le titre, les sculptures représentent les tuyaux d’échappement, les ouvertures d’aération et les conduits d’air qui forment le système respiratoire du paysage contemporain. Grâce au modelage de l’argile, Sadawi établit une connexion entre une perception masculine du monde de la production effrénée et mécanisée et une perception féminine du travail à la main. Elle crée ainsi la possibilité d’élargir la discussion au sujet du travail, des hiérarchies de la pratique artistique et des espaces genrés.

L’artiste fait référence à la pureté des formes et aux designs épurés propres à l’industrialisation rapide et aux innovations technologiques qui ont influencé le modernisme au début du XXe siècle. Cette industrialisation ayant marqué le début d’un nouvel ordre social a organisé l’espace et le travail autour de divisions et de paramètres stricts liés au genre, à la race et aux classes. Cette même force a poussé les hommes vers l’espace public industrialisé pour le travail et a relégué les femmes dans la sphère privée, soit le foyer.1 Comme les autres facettes de l’architecture industrielle, le travail de l’artiste rappelle une époque où l’on cherchait à consolider l’ordre social patriarcal. Cependant, la lecture d’abord masculine de l’œuvre se complique en raison du médium que l’artiste a choisi pour représenter les conduits d’air.

Photo par Guy L'Heureux






Ces fragments de la ventilation industrielle appartiennent à un système dont la fonction n’est pas de produire, mais de maintenir.

Photo par Guy L'Heureux



Ces fragments de la ventilation industrielle appartiennent à un système dont la fonction n’est pas de produire, mais de maintenir. Grâce aux mouvements de réforme de la santé menés par des femmes au début du XXe siècle, les systèmes de ventilation modernes ont été introduits dans les milieux industriels — et ensuite dans les foyers — pour améliorer les conditions de travail des employé.e.s. Ils représentent un réseau vaste et caché d’entretien, souvent dissimulé derrière les murs ou cloîtré dans les plafonds. Comme les autres formes de maintien, la nature omniprésente de ces systèmes tend à les rendre invisibles dans notre environnement quotidien.

Le choix de l’artiste de reproduire en argile les facettes de nos systèmes de ventilation modernes souligne un autre aspect du travail invisible et genré de notre environnement de tous les jours. Comme le mentionne Sadawi dans son énoncé, les canons historiques de l’art sont habituellement relégués à l’artisanat, aux loisirs ou à la décoration, en raison de leur caractère pratique et de leur qualité décorative dans les foyers.2

Dans sa conférence « The Aesthetics of Care, » l’artiste et chercheuse Ara Osterweil parle de la tradition fragmentaire de l’esthétisme féministe et de sa relation avec le déroulement de la vie quotidienne : la liste interminable, le journal, la lettre et le collage. Elle note que ces pratiques sociales genrées, souvent écartées et critiquées pour leur caractère superficiel, sont des lieux de grande profondeur et de soins continus.3 De la même manière, la collection de céramiques faites à la main de Ducts peut être perçue comme un geste envers les formes féminisées du travail qui ont été historiquement dévalorisées par leur association aux tâches d’entretien. Dans le contexte de la céramique et d’autres pratiques d’artisanat, la place de ces œuvres dans le paysage domestique et dans leur utilisation à la maison a aussi fait valoir leur existence.

L’installation de Sadawi vient compliquer l’histoire homogène et masculine des espaces industriels, en mettant de l’avant les infrastructures de l’entretien qui passent inaperçues dans notre environnement. En brouillant les frontières entre le public et le privé, et la nature du travail qui s’effectue dans chaque sphère, l’artiste crée un ensemble de sculptures qui nous forcent à reconsidérer notre environnement de tous les jours et le travail oublié — ce que l’artiste appelle de façon poétique le « bruit de fond » de nos vies quotidiennes.

  1. Moira Vincentelli, « The Decorative Woman, » dans Women and Ceramics: Gendered Vessels (Manchester: Manchester University Press, 2000), 78.
  2. Sarah Sadawi, démarche artistique, 2021.
  3. Ara Osterweil (Lecture, University of Toronto, The Center for Ethics, April 7, 2021).
Photo par Guy L'Heureux

Biographie de l’auteur.trice

Madison Strizic poursuit actuellement un baccalauréat en fibres et pratiques matérielles à l’Université Concordia. Elle s’intéresse à l’esthétique du quotidien, à l’exploration urbaine et aux effets de la désindustrialisation. Vouant une passion sans bornes aux toitures à la Mansart, elle est intarissable sur ce sujet.

Photo par Guy L'Heureux
Photo par Guy L'Heureux
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