Kesso Saulnier
Histoires Fil’tisses
11 septembre - 15 décembre, 2023
Vernissage: 14 septembre de 17h à 19h
Description de l'exposition
Les Histoires Fil’tisses explorent mon lien à mes enfants et mes diverses expériences de maternité. Je relate les naissances, les moments de grâce, les pertes et les deuils, les émotions post-partum, ainsi que les différentes métamorphoses de mon corps. La série met en lumière mon quotidien, donnant une voix à un vécu trop souvent relégué dans l’ombre. Les œuvres, réalisées à partir d’esquisses retraduites directement avec du fil, s’inspirent des chansons blues et jazz de Billie Holiday et de Nina Simone. Les Histoires Fil’tisses répondent aux Histoires Mè’tisses (présentées au FIL : Festival international de la littérature en septembre 2023), une série qui explore mon lien à ma mère biologique et à mon pays natal (la Guinée) par le biais d’histoires tissées à partir de poèmes et de broderies sur tissus indigo.
Essai commandé
Tracés de fille et mère, tracés d’enfants
Poème de Diane Régimbald
17 novembre, 2023
When I hear the deepest truths I speak coming out of my mouth sounding like my mother's, even remembering how I fought against her, I have to reassess both our relationship as well as the sources of my knowing.
Tu m’invites à visiter ton exposition à la galerie FOFA de l’Université Concordia.
Je me promène, lis / regarde chacune de tes broderies. Il y en a 83 de diverses dimensions. Six séries thématiques aux nombres de 25-16-30-5-1-6 - composent ta fresque de mémoires : Solitudes, Enceinte avec la covid, Maternités, Femme en pleurs, Black Prelude, Histoires Fil’Tisses. Tout s’inscrit dans les gestuelles que tu as dessinées. Tout est couleurs, lignes brodées de poses distinctes. Un corps de femme sur chaque tissu et corps d’enfants / filles. Un corps de femme en mouvements perpétuels, pleure, se recroqueville, se berce, médite, rêve, devient enceint, donne naissance, perd le sang, «triste» diras-tu, recommence, vit une autre perte, puis une autre petite viendra. Je m’arrête devant chacune de tes images tout au long du corridor de la galerie.
Ton corps de fille me happe.
Tes solitudes
dessinent un horizon comme un écran suspendu.
Un repliement sur soi.
Une attente un espoir
d’aimer mieux avec l’enfant
car l’enfant console
te redonne vie
car porter l’enfant tu le fais avec la grâce de l’amour.
Donner naissance
ça peut résoudre des énigmes car les trous vécus
se transforment s’épaississent.
Tu cherches à combler un passé – retirer les trous
les mettre à néant.
Le présent de tes enfants actualisé dans l’ardeur
de la mémoire se dresse vers l’avenir.
Ainsi, tu offres un recueil à tes filles
la mémoire d’un fondement
lié aux trous de ta vie.
Écrire mère, écrire enfant
l’ailleurs dans le corps.
Voyage nécessaire de l’ailleurs
pour la filiation.
Père disparu
mère sacrifiée
et éperdument
bienveillance.
Tes tissages me font penser aux œuvres
de l’artiste afro-américaine Faith Ringgold.
Tu brodes ton corps, les corps de tes enfants
développes le scénario du vivant en toi.
Tu brodes les réparations de l’absence
de ta solitude – les jours qui passent.
Un grand espace isole ton être
dans les postures du quotidien.
Sur le tissu
les corps, mère et enfants.
Tu les brodes
leur donnes les contours qui protègent
du manque d’eux-mêmes. Et tu embrasses
leurs petits êtres.
L’éloignement de la terre natale en toi
creuse l’espace
et la mère que tu deviens – elle présente
dans les tissus d’Afrique – tu la rejoins.
Ton histoire construit ton récit
des racines pour elles.
Tracés de fille et mère, tracés d’enfants
Le corps enceint devient plein
s’inquiète de qui l’attend
cela sera fille pour mère
deux fois filles pour corps de mère
seule
rien ne dira l’autre autrement
que la quête de l’origine.
Kesso tu reviens à ta mère
aux tissus qu’elle t’envoie.
Tu crées une grande histoire réparatrice
de filles et mère composées
tristesse de son absence à elle.
La perte fœtale chaque fois
que le sang jaillit
donne peine douleur
incicatrisable affliction.
Tu ne sauras plus comment revenir
de la perte.
Une autre enfant naîtra
une autre fille
pour te rassurer d’être fille
mère pour toujours de durer.
Tu diras à ta mère
que ses tissus entrent dans la matière des corps
les révèlent.
Tu diras à tes mères d’ici et d’ailleurs
le temps qu’il faut pour comprendre
la sérénité d’être.
Tu reviens à ton corps de fille
celui de ta solitude profonde
puis tu soignes ton enfant intérieur
la cajole en prends soin
tu as l’impression qu’elle te sauve de ta perte.
Cette enfant le fera-t-elle?
Tu brodes tous les contours
comme tu graves les images de tes détresses
de tes pleurs, des caresses, des joies
de l’amour que tu voues à elles, tes filles.
Mais cette solitude de fille de mère
rejoint inlassablement ta mère africaine
celle qui t’envoie des tissus indigo
que tu utilises
comme des ancrages aux fils que tu tisses
et tisses sans fin, ces fils qui percent les tissus.
Ta courtepointe infinie
elle est ta vie
la sienne
celle de tes filles.
Amoureuse de tous les fils de couleurs
qui traversent les arcs-en-ciel des vies des femmes.
- Solitudes, 2023, 25 broderies 21 cm X 21 cm
- Enceinte avec la covid, 2023, 16 broderies 17,5 X 24,5 cm
- Maternités, 2023, 30 broderies 18 X 25cm
- Femme en pleurs, 2022, 6 broderies 30 X 42,5 cm
- Black Prelude, 49,5 X 1,89 cm 1 broderie
- Histoires Fil’Tisses, 2021, 5 broderies 17 X 28cm
Se dessine un horizon malgré un repliement sur soi. Une attente un espoir d’aimer mieux avec l’enfant car l’enfant en soi console. La méditation durant la grossesse élève au primordial.
Redessine la solitude la promesse de bercer encore mais le désarroi nourrit. De bercer l’enfant te tire vers l’essentiel. Même si tu en portes un autre, tu ne peux la délaisser.
Une grâce diras-tu. La solitude encore pourtant. Il faut bercer sans cesse, porter ce deuxième enfant, les nourrir toutes les deux. Broder est de l’ordre de la réparation. Que penser de ce qu’est être mère ? La solitude est agrippée au corps mais l’enfant insiste et celle qui grandit à l’intérieur naîtra. La grossesse transforme le corps à nouveau et lui donne de la joie.
Et le corps pleure, de partout les larmes n’ont de cesse de l’avaler, de l’interner, de faire un nœud de lui-même. Et ce qui se tisse le traverse et ne cesse de le tirer de son isolement.
Sur l’écran noir du tissus, une ronde du quotidien depuis le lever au coucher en passant par les pleurs dus à la perte, la ronde des jeux, les soins, le bercement, la noyade dans les larmes, dans le sang de la perte.
C’est un rappel de l’histoire de la petite. Une nostalgie de celle qui a pu à son tour prendre soin. Couverte de tissus, drap, robe, elle à elle seule, chaque figure du silence après le don, le recueillement. C’est l’enfant tout juste née, brodée sur le tissu indigo provenant de Labé, ville de Guinée où est née Kesso.
À propos de l'auteur:
Diane Régimbald a publié plus d’une dizaine de livres dont sept recueils de poésie au Noroît, Au plus clair de la lumière, Sur le rêve noir, L’insensée rayonne en coédition avec L’Arbre à paroles, finaliste au Prix de poésie du Gouverneur général du Canada, Pas, mention d’excellence, Prix des écrivains francophones d’Amérique, Des cendres des corps, Pierres de passage, La seconde venue. En France, sont parus : Échographies : intérieurs du vivant, Cœur d’orange à L’Atelier des Noyers; Toi au soleil pâle ou brûlant, De mère encore aux Éditions du Petit Flou. Elle a participé à plusieurs projets collectifs, anthologies et événements littéraires au Québec, au Canada et à l’étranger. Certains de ses textes ont été traduits en anglais, en catalan et en espagnol. Elle est membre du Comité Femmes du Centre québécois du P.E.N. international, du Parlement des écrivaines francophones et de l’Académie des lettres du Québec.
À propos de l'artiste
Kesso Saulnier est une artiste et poétesse d’origines guinéenne et québécoise, dont les œuvres métissent le texte, le textile et le dessin. Elle perçoit sa pratique comme une manière de repriser les trous et les fissures de son histoire, en générant de nouvelles mémoires. Elle a exposé son travail et réalisé des résidences d’artiste au Québec et à l’international (Centre Canadien d’Architecture, CICA Museum, The Studios at MASS MoCA, Galerie FOFA, CIRCA Art Actuel, La Centrale Galerie Powerhouse, Spazio eLaSTiCo, ARTCH 2022). En 2021, elle a brodé les illustrations du livre Ensemble nous voyageons, écrit par Lula Carballo et Catherine Anne Laranjo, aux éditions Dent-de-lion. Ses poèmes et ses broderies seront présentées au FIL (Festival international de la littérature) à l’automne 2023.