Une professeure de Concordia étudiera l’éthique de l’utilisation de l’ADN fossile
La professeure de l’Université Concordia Jessica Bardill fait partie d’une équipe de chercheurs qui s’est vu octroyer une subvention collective de 350 882 $ par la Fondation nationale des sciences des États-Unis. Le groupe examinera le contexte éthique actuel de la recherche sur l’ADN fossile.
Jessica Bardill occupe le poste de professeure adjointe de littérature et de cultures canadiennes autochtones au Département d’études anglaises. Avec ses collaborateurs de l’Université du Connecticut et du Musée de la nature et des sciences de Denver, de même qu’avec d’autres partenaires canadiens, américains et européens, elle s’attachera à concevoir un cadre éthique aux fins de l’utilisation de l’ADN fossile (« ADNf »).
Le projet sera surtout axé sur les approches de recherche dans le domaine de l’ADNf des peuples autochtones nord-américains.
L’étude de l’ADN extrait de fossiles humains et d’autres organismes a fait ressortir que les Homo sapiens ont interagi et se sont accouplés avec les Néandertaliens. Elle a aussi mené à la découverte d’une nouvelle espèce : les Dénisoviens. Inconnus jusque-là des scientifiques, ces êtres auraient vécu environ à la même époque que les Néandertaliens.
En outre, cette étude a favorisé une meilleure compréhension des schémas de migration anciens ainsi que de l’évolution temporelle des maladies et des espèces compagnes – le chien par exemple.
Toutefois, l’utilisation de l’ADNf suscite certaines controverses d’ordre éthique. D’une part, il est avéré que de nombreux scientifiques poursuivent des recherches sur des sujets anciens sans le consentement ni la collaboration de leurs descendants actuels. D’autre part, bien des études sur des sujets autochtones témoignent d’un manque de considération à l’égard des cultures, traditions, récits et histoires des peuples auxquels ces derniers appartiennent.
« Nous livrons bataille »
« On s’imagine que comme ces sujets sont morts, il n’est pas nécessaire de consulter les communautés contemporaines ni d’obtenir leur consentement ou leur collaboration. Or, nous ne sommes pas d’accord », affirme la Pre Bardill.
« Nous voulons en outre montrer à quel point la collaboration avec les communautés contemporaines permettrait d’améliorer le travail scientifique ainsi que les questions posées et les conclusions tirées par les chercheurs », poursuit-elle.
Selon la Pre Bardill, cet enjeu revêt une dimension particulièrement importante dans la recherche sur les ascendants des Autochtones. En effet, l’étude de ces sujets devrait s’appuyer sur une compréhension de la violence qu’ont subie les communautés autochtones dans le passé. Elle devrait aussi tenir compte des répercussions perturbatrices et dommageables qu’ont eues pour ces communautés la recherche sur leurs ancêtres et les tentatives d’acquisition de leurs restes.
« Nous livrons bataille contre les dommages que peut engendrer la recherche non informée », explique Jessica Bardill.
« Le chercheur qui étudie des fossiles humains sans collaborer avec leurs descendants se pose généralement la question suivante : “À qui s’apparentent-ils ou quels liens les unissent-ils?”, continue-t-elle. Si une communauté se réclame d’un individu, d’un ancêtre, la question perd de son intérêt, car la réponse existe déjà. »
La publication par la Pre Bardill et certains de ses collaborateurs d’un article dans la revue Science d’avril 2018 est à l’origine du présent projet. Leur texte mettait en relief des lacunes d’ordre éthique dans l’étude de la paléogénomique et insistait sur l’importance d’adopter des pratiques exemplaires dans cette discipline.
Par la suite, un collègue a fait remarquer que de nombreux intervenants – notamment des représentants de musées, des généticiens, des humanistes et, bien entendu, des membres de peuples autochtones – devraient participer à l’élaboration de normes éthiques. Il a suggéré aux collaborateurs de solliciter une subvention et d’approfondir leur recherche.
Vers la création d’un cadre éthique rigoureux
Facilitée par le concours d’un boursier postdoctoral, la première étape du projet consistera à interroger des chercheurs spécialistes de l’ADNf sur les pratiques déontologiques qu’ils observent actuellement. Dans la foulée seront menées des études de cas sur les diverses pratiques sectorielles de même qu’une analyse contextuelle. Pour affiner la compréhension acquise au moyen de cette étude sommaire, le projet s’appuiera sur des entrevues ethnographiques de chercheurs et de membres de communautés autochtones.
L’équipe du projet invitera ultérieurement les nombreux intervenants concernés à assister à trois ateliers portant respectivement sur la recherche de l’ADNf, ses principes et ses pratiques. Ces rencontres se tiendront dans des collectivités autochtones.
« Nous voulons réfléchir à des moyens qui permettront de mieux accomplir ce travail, indique Jessica Bardill. Nous entendons aussi définir les questions qu’il faut soulever et les collaborations qu’il convient d’établir. »
Selon elle, un cadre éthique rigoureux faciliterait les rapports entre les scientifiques et les communautés concernées. De plus, il éviterait de donner aux membres des peuples autochtones l’impression que les chercheurs mènent leurs travaux sans autorisation ni considération.
Par ailleurs, un tel cadre favoriserait l’engagement des communautés, qui pourraient intervenir beaucoup plus tôt dans le processus. Il s’agit d’un point essentiel, car la réalisation d’une analyse d’ADNf sur un fossile peut souvent le détruire. Par exemple, des chercheurs vont forer un osselet auriculaire dans le crâne d’un spécimen parce que c’est un bon endroit où trouver de l’ADN.
« Ce faisant, ils détruisent ni plus ni moins ces restes humains », soutient la Pre Bardill.
Et d’insister sur le fait que l’ADNf devrait plutôt être considéré comme une ressource précieuse. « Pourquoi ne pas procéder de façon réfléchie et discuter d’abord de la manière dont nous exploiterons cette ressource? », conclut-elle.
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