Le chercheur de Concordia Jason Edward Lewis codirige un effort multinational pour imaginer l’avenir de l’IA dans une perspective autochtone
À la fin de l’hiver et au printemps 2019, un groupe de chercheurs autochtones s’est réuni à Hawai‘i pour explorer les concepts entourant l’intelligence artificielle (IA), en relation avec l’expérience autochtone.
Coorganisée par Jason Edward Lewis, professeur au Département de design et d’arts numériques, la rencontre réunissait un groupe multidisciplinaire de participantes et de participants du Canada, des États-Unis, d’Australie, de Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. Les étudiants des cycles supérieurs de Concordia Scott Benesiinaabandan (M. Bx-arts, arts plastiques) et Suzanne Kite (Ph. D., programme d’études individualisées), de même que l’attachée de recherche de Concordia Skawennati, y ont également pris part.
La première séance, tenue en mars, consistait principalement en des ateliers de réflexion visant à savoir comment et dans quels contextes se croisent l’autochtonicité et l’IA. La seconde, en mai, se concentrait davantage sur la rédaction et l’établissement des bases de ce qui deviendrait l’Indigenous Protocol and Artificial Intelligence Position Paper (exposé de position sur le protocole autochtone et l’intelligence artificielle).
Ce document de 205 pages est un recueil d’articles savants, d’essais, de nouvelles, de poèmes et de prototypes technologiques offrant chacun une perspective unique sur la signification de l’IA pour les peuples autochtones et sur ce qu’elle leur offre. Les sujets abordés sont aussi diversifiés que les participants aux ateliers. Par exemple, l’un des essais nous invite à imaginer des façons de concevoir une IA qui s’aligne avec les valeurs et l’éthique autochtones. Un autre remet en question la souveraineté et l’appropriation des données. Un troisième se demande comment l’IA peut être incorporée aux récits de genèse et en faire partie. Et un quatrième cherche à savoir comment la technologie de la chaîne de blocs, combinée à l’IA, peut être utilisée pour gérer les affaires des communautés autochtones.
Différentes nations, différentes idées
Avec des participants aux ateliers comprenant, entre autres, des représentants autochtones d’Australie, d’ Hawai‘i ainsi que des populations Māori, Oglala Lakota, Euskaldun (Basque), Anishinaabe, Coquille, Crie, Crow, Cheyenne et Mohawk, le professeur Lewis affirme que l’objectif était de renforcer la diversité de la pensée autochtone.
« Nous avons décidé que l’exposé de position n’aurait pas qu’un seul format – que les auteurs écriraient dans la forme la plus efficace à leurs yeux. Ils se sentaient ainsi à l’aise, et nous avons pu créer un document qui fonctionne bien », explique-t-il.
Jason Edward Lewis, qui est également titulaire de la chaire de recherche en médias informatiques et en imaginaire de l’avenir autochtone, ajoute que la décision de tenir les ateliers à Hawai‘i était à la fois pratique et personnelle. Située en plein cœur de l’océan Pacifique, cette chaîne d’îles est accessible assez facilement par voie aérienne à partir de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande, de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Par ailleurs, en tant qu’universitaire de descendance hawaïenne, cherokee et samoane, le choix de cet emplacement lui a donné l’occasion de mieux comprendre et étudier son propre héritage. Pour finir, Hawai‘i offrait un très bon exemple de ce qu’une scène technologique, dynamique et dirigée par des autochtones peut accomplir.
« D’une manière qui, je pense, n’existe nulle part ailleurs qu’en Nouvelle-Zélande, il y a ici toute une écologie de praticiens de la culture autochtone, de gardiens de la langue, de chercheurs clés sur la culture, de scientifiques, d’ingénieurs, d’entrepreneurs et de capital-risqueurs – tout le nécessaire pour travailler à la fine pointe d’une technologie numérique axée sur les entités hawaïennes autochtones », poursuit-il.
Un autre choix d’avenir
En tant que document, l’exposé de position sert de point de départ pour bâtir une voix autochtone qui contribuera aux discussions mondiales sur l’avenir et les implications de l’IA. Le professeur Lewis, cependant, insiste sur le fait que cela n’est qu’un début.
« Il faut s’exercer à réaliser l’avenir imaginaire, comme je l’appelle, souligne-t-il. Comment créer les grandes lignes d’un avenir auquel on aspire? Comment renforcer nos capacités pour y parvenir? Nous voulons nous assurer que les voix autochtones occupent une place centrale dans le développement de cette technologie, et que celle-ci se développe de façon bénéfique pour nous. »
À mesure que l’IA progresse et s’intègre dans nos espaces quotidiens, le professeur Lewis espère que l’exposé de position encouragera les jeunes programmeurs autochtones à se lancer dans des projets qui leur sont propres et ne se basent pas nécessairement sur une perspective traditionnelle occidentale, utilitaire et axée sur le profit. Il imagine par exemple un langage de programmation fondé sur l’hawaïen, et son impact sur notre capacité à développer l’IA différemment.
Les ateliers ont bénéficié d’un financement du programme IA et société de CIFAR, du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et du Service de la recherche de Concordia.
Apprenez-en davantage sur le groupe de travail sur le protocole autochtone et l’intelligence artificielle.