Il ne faut pas s’attendre à ce que le cannabis produise des recettes fiscales exceptionnelles, affirme un économiste de Concordia
Adoptant une approche pragmatique, des tenants de la légalisation du cannabis ont mis en évidence les avantages économiques d’enrayer le marché noir. À titre de produit taxable largement consommé et assez peu nocif, avançaient-ils, le cannabis serait une bénédiction pour les gouvernements en manque chronique de fonds. Tout l’argent qui filtrait par des voies clandestines irait alors dans les coffres de l’État sous forme de taxes de vente et d’accise.
Or, cette hypothèse, bien qu’entièrement plausible, reste à prouver. Dans un article qui vient de paraître dans la revue Canadian Public Policy, les auteurs font valoir que le cannabis légal peut en fait avoir un effet négatif sur la vente d’autres substances contrôlées qui, pour l’État, constituent des sources de revenus bien plus lucratives que la marihuana.
« La marge bénéficiaire sur le cannabis est assez mince comparativement à celle sur l’alcool et le tabac », souligne Ian Irvine, professeur de sciences économiques à la Faculté des arts et des sciences de l’Université Concordia.
Contrairement aux taxes sur l’alcool et le tabac, celle qui est perçue sur le cannabis est maintenue délibérément faible – soit environ 1 dollar par gramme, dont 75 cents sont versés aux provinces – pour favoriser le gain de parts de marché au profit du commerce illégal. Les provinces peuvent y ajouter leur propre taxe et, en général, le font.
« Il y a toutefois une conséquence inattendue à cette démarche », précise Ian Irvine, qui a rédigé l’article en collaboration avec Miles Light de l’Université du Colorado. « Il est impossible d’avoir un immense marché légal et d’en tirer d’immenses revenus fiscaux sans imposer une taxe élevée sur chaque gramme de cannabis. »
Un produit taxé parmi d’autres
Aux fins de leur étude, MM. Irvine et Light ont créé un modèle dans lequel ils considèrent le cannabis légal et illégal comme des produits distincts, et y ont intégré des estimations économétriques afin d’évaluer l’impact global de chacun sur les recettes. Dans leur hypothèse, ils envisagent un avenir où le cannabis légal occupe environ 70 pour cent du marché total de la marihuana, alors que 30 pour cent des ventes continuent de s’effectuer sur le marché noir – ce qui correspond plus ou moins à la situation au Canada en 2020.
Si leur modèle donne à penser que les recettes fiscales de la vente du cannabis ne compensent pas entièrement la baisse de celles de la vente d’alcool et de tabac, il prédit également une hausse des recettes attribuable à l’impôt sur le revenu des travailleurs et des sociétés de l’industrie du cannabis. Cette prédiction repose sur l’hypothèse d’une diminution du nombre de personnes travaillant au noir et ne payant pas d’impôt et d’une augmentation du nombre de personnes travaillant dans le marché légal, de même que sur celle de la profitabilité éventuelle des entreprises légales de production de cannabis (et de leur capacité à générer des recettes fiscales).
Les auteurs ont également estimé la valeur monétaire de la légalisation pour les particuliers au moyen d’une fonction d’utilité. Leurs résultats montrent que chaque utilisateur serait prêt à débourser une prime de 500 dollars par année pour avoir accès à du cannabis légal.
Quelle ruée vers l’or vert?
Selon Ian Irvine, il y a là une occasion à saisir pour les provinces – en particulier le Québec et l’Ontario – lesquelles devraient fortement intensifier leurs activités dans le secteur. Celles-ci, à son avis, sont demeurées beaucoup trop timides depuis la légalisation du cannabis au Canada il y a deux ans déjà.
« La piètre vitalité du secteur est en grande partie imputable à une très lente expansion du marché légal », souligne-t-il. Compte tenu de la surabondance d’espaces commerciaux vacants à haute visibilité dans les centres-villes à la grandeur du pays, et pour lesquels on recherche désespérément des locataires, le Pr Irvine croit que les gouvernements provinciaux devraient sauter sur l’occasion d’élargir leurs réseaux de magasins. La pénurie actuelle de points de vente de cannabis s’est traduite par de longues files d’attente, ce qui, de l’avis des auteurs, est injuste pour les consommateurs et peut les dissuader de faire l’achat de leur cannabis sur le marché légal.
Selon Ian Irvine, les systèmes canadiens actuels font figure de parents pauvres à côté de celui du Colorado, par exemple, où l’on encourage la vente au détail à grande échelle, bien que celle-ci soit fortement réglementée.
« En tant qu’économiste, je suis sensible à la façon dont un marché réglementé peut servir le grand public, indique Ian Irvine. « Cependant, je suis certain qu’il existe de bien meilleurs modèles économiques que celui que nous avons ici au Québec. »
Lisez l’article cité (texte intégral en anglais avec résumé en français) : The Tax Consequences of Legal Cannabis.