Des chercheuses analysent les effets de la Loi 21 sur les étudiants du Québec
Un sondage dans le cadre du projet de recherche sur la Loi 21 donne un aperçu des effets de la Loi sur la laïcité de l’État du Québec sur les étudiants et les nouveaux diplômés en droit et en enseignement.
Kimberley Manning, professeure agrégée en science politique de Concordia, et Elizabeth Elbourne, professeure agrégée en histoire à l’Université McGill, codirigent ce projet. Leur objectif est d’analyser la façon dont cette loi influence les choix de carrière des étudiantes et étudiants, et ses effets sur la discrimination dont ils font l’objet.
« L’un de nos objectifs était de recueillir de l’information sur l’incidence de la Loi 21 sur la disponibilité des futurs professionnels, particulièrement dans le domaine de l’enseignement, en raison de la pénurie d’enseignants au Québec », explique Mme Manning.
La Loi sur la laïcité de l’État du Québec, que nous appellerons Loi 21, a été adoptée en juin 2019. Elle interdit les employées et employés du gouvernement en situation d'autorité (professeurs, juges et policiers) de porter des signes religieux au travail.
Entre le 13 octobre 2020 et le 9 novembre 2021, Mmes Manning et Elbourne ont distribué un sondage bilingue en ligne aux étudiants et aux nouveaux diplômés en enseignement et en droit de la province. En plus des données du sondage, elles ont reçu un grand nombre de commentaires qui offrent un aperçu des points de vue.
Mme Manning souligne qu’une tendance claire se profile après avoir examiné les 629 réponses reçues.
Augmentation de la discrimination
Les femmes musulmanes font partie du groupe avec le plus haut taux de réponse. Des 84 participantes s’identifiant comme musulmanes et portant un hijab, 76 pour cent rapportent avoir vécu de la discrimination depuis que la loi a été adoptée, comme du harcèlement verbal dans la rue, des commentaires leur disant que le hijab était illégal et des conflits dans les écoles.
Les étudiantes et étudiants juifs rapportent aussi avoir vécu davantage d’antisémitisme.
Parmi les personnes participantes qui ont mentionné porter un signe religieux, 56,5 pour cent disent avoir vécu de la discrimination depuis l’adoption de la loi.
Manque de soutien envers la Loi et problèmes de recrutement dans le domaine de l’éducation
Mme Elbourne ajoute qu’il n’y a pas que les personnes qui portent des signes religieux qui sont touchées.
« Nous avons remarqué que bon nombre d’étudiantes et étudiants ont souligné leur profonde tristesse en constatant les effets de l’adoption de la Loi sur leurs camarades de classe, les membres de leur famille, leurs amies et amis de même que les autres étudiantes et étudiants. » Plusieurs, surtout des étudiantes et étudiants en enseignement, ont indiqué avoir refusé de travailler au Québec pour cette raison. Soixante-dix pour cent des personnes participantes perçoivent le Québec de manière négative depuis l’adoption de cette loi.
Les commentaires et les données du sondage suggèrent que la Loi 21 contribue à la pénurie d’enseignants au Québec et à la division au sein des écoles.
Choix de carrière et vie au Québec
Les étudiantes et étudiants qui ont participé au sondage ont exprimé des doutes sur leur intention de travailler au Québec, 44,4 pour cent indiquant que cela limiterait les possibilités d’emploi. Un peu plus de 51 pour cent des personnes participantes ont mentionné chercher du travail à l’extérieur de la province.
Le pourcentage d’étudiantes et étudiants qui portent des signes religieux et qui croient que leurs possibilités d’emploi seront réduites est encore plus élevé, à 70,6 pour cent. De plus, 26 pour cent des étudiantes et étudiants qui portent des signes religieux et qui avaient prévu étudier en enseignement ou en droit ont décidé de changer de domaine depuis l’adoption de la Loi.
Nombre de personnes participantes, outre l’intention de quitter la province pour améliorer leurs possibilités d’emploi, ont rapporté que même si elles ne portent pas eux-mêmes de signes religieux, leurs amies, amis et leurs familles en portent, ce qui suscite des inquiétudes quant au fait de rester au Québec.
Futures recherches
Mmes Manning et Elbourne reconnaissent les limites du sondage et admettent que ce petit échantillon n’est pas représentatif de l’ensemble des étudiantes et étudiants en enseignement et en droit du Québec. Bien que le sondage n’offre que quelques données préliminaires, certains résultats correspondent néanmoins à d’autres recherches et sondages récents, selon elles.
Mme Manning souligne que le projet de recherche sur la Loi 21 est le dernier ajout à une liste croissante de recherches sur l’analyse des effets de la Loi 21, et de la laïcité dans l’ensemble, sur la province. Elle ajoute que l’un des objectifs du projet est de rassembler de l’information sur la Loi 21 provenant de diverses sources pour ouvrir un dialogue public.
Un sondage commandé par l’Association d’études canadiennes suggère que 73,9 pour cent des Québécois de 65 à 74 ans soutiennent l’interdiction de porter des signes religieux pour les enseignants, contre 27,8 pour cent des Québécois de 18 à 24 ans.
« Compte tenu du fait que les étudiantes et étudiants sont surtout des jeunes, ces résultats semblent indiquer un manque de soutien de leur part, surtout à Montréal, observe Mme Manning.
Cela évoque la possibilité d’un fossé générationnel concernant l’attitude envers la Loi 21 qui mérite que les législateurs y accordent plus d’attention et effectuent plus de recherches à ce sujet. »
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