Une nouvelle étude internationale révèle que l’urbanisation entraîne des changements évolutifs touchant le trèfle blanc cosmopolite
Plus de la moitié de la population mondiale vit désormais en milieu urbain, indique un récent rapport des Nations Unies. Et cette proportion devrait continuer d’augmenter jusqu’à atteindre les deux tiers de la population d’ici la fin du siècle. On ne comprend pas encore pleinement l’effet de l’urbanisation rapide sur les écosystèmes et leur biodiversité à l’échelle locale. Le Global Urban Evolution Project (GLUE) est un projet de collaboration internationale qui réunit des centaines de chercheuses et chercheurs, dont deux de l’Université Concordia. Il vise à brosser un portrait détaillé des mécanismes d’adaptation de la flore et de la faune à leur environnement changeant.
Le premier article issu du projet, publié dans la revue Science, met en relief l’évolution relativement rapide de l’omniprésent trèfle blanc en raison de l’urbanisation. En comparant des échantillons de trèfle blanc recueillis dans des villes de partout au monde, les chercheurs ont montré que la plante s’était adaptée à son environnement urbain.
« On sait que le trèfle blanc se protège de l’herbivorisme en produisant de l’acide cyanhydrique, une substance qui lui confère un goût très amer et une toxicité potentiellement létale », explique Pedro Peres-Neto, professeur de biologie à la Faculté des arts et des sciences et l’un des 11 principaux dirigeants de l’étude.
« Nous avons d’abord tenté de répondre à deux grandes questions. La première : comme elles sont exposées à un nombre moins élevé d’animaux mangeurs de plantes, est-ce que les plantes en milieu urbain produisent cette substance moins souvent que celles en milieu non urbain? Et la deuxième : si les plantes en milieu urbain n’ont pas besoin de produire de l’acide cyanhydrique, est-ce qu’elles consacrent leur énergie à d’autres caractéristiques susceptibles de les aider à s’adapter à l’environnement urbain?
La protection n’est plus requise
Les chercheurs ont recueilli plus de 100 000 trèfles blancs provenant de 160 villes situées sur tous les continents. Les scientifiques locaux ont recueilli des plantes selon un gradient géographique allant de zone très urbaine à zone non urbaine (à l’extérieur de la ville), puis ont analysé la cyanogenèse de chaque plante. Bon nombre de ces plantes ont été acheminées à l’EvoEco Lab situé sur le campus de Mississauga de l’Université de Toronto aux fins d’analyse génomique sous la direction de Marc Johnson.
Les chercheurs ont découvert qu’en ce qui concerne environ 50 pour cent des villes où des échantillons ont été prélevés, les plantes qui produisent moins d’acide cyanhydrique sont plus nombreuses dans les milieux urbains que dans les milieux non urbains. Ils ont également constaté que la différenciation génétique entre les plantes urbaines et non urbaines était faible. Comme les plantes sont génétiquement semblables à l’échelle des villes et qu’il y a eu plusieurs manifestations indépendantes de réduction du mécanisme de défense dans les lieux urbanisés (un phénomène appelé évolution parallèle), les résultats donnent à penser qu’il y a une forte évolution par sélection conduisant à une réduction de la cyanogenèse dans les systèmes urbains.
« Les trèfles des villes semblent s’adapter à leur environnement urbain puisqu’ils n’expriment plus aussi souvent ce mécanisme de défense, indique Carly Ziter, professeure adjointe de biologie à l’Université Concordia qui participe au projet depuis qu’elle est doctorante à l’Université du Wisconsin à Madison. Les résultats indiquent clairement que les villes ont toutes des effets semblables, et que ceux-ci conduisent à des changements écologiques et évolutifs. »
Mégadonnées au service de grands projets
M. Peres-Neto, biologiste quantitatif spécialisé en écologie et en évolution, estime que les nombreuses données recueillies dans le cadre du projet tiendront le réseau de collaborateurs occupé pendant des années.
« Nous pensons que ces données peuvent mener à des dizaines de nouveaux projets. C’est l’avantage d’avoir des données organisées et bien gérées. Les membres de notre réseau du Global Urban Evolution Project évalueront les propositions de projets de recherche au fur et à mesure et formuleront des conseils afin que nous disposions de résultats pertinents pour mieux comprendre les effets de l’urbanisation sur les êtres vivants. Il s’agit vraiment de travaux de portée internationale. »
Selon Mme Ziter, ce projet est un parfait exemple d’intersection des sciences fondamentales et appliquées dans une société urbaine contemporaine.
« Les collaborateurs à ce grand projet ont tous leur façon propre d’aborder les questions scientifiques et de définir les travaux qu’ils mènent dans leur domaine. Il est fascinant de voir toutes ces personnes s’attaquer à une question commune. »
Lisez l’article cité : « Global urban environmental change drives adaptation in white clover ».