L’impression sonore directe pourrait changer la donne en matière d’impression 3D selon des chercheurs de Concordia
La plupart des méthodes d’impression tridimensionnelle (3D) actuellement en usage reposent sur des réactions soit photoactivées, soit thermoactivées – c’est-à-dire activées respectivement par la lumière ou la chaleur – pour manipuler avec précision les polymères. La conception d’une technologie de plateforme inédite baptisée « impression sonore directe », qui fait appel aux ondes sonores pour produire de nouveaux objets, pourrait offrir une troisième option.
Le processus est le sujet d’un article paru dans la revue Nature Communications. Celui-ci montre comment des ondes ultrasonores concentrées permettent de produire des réactions sonochimiques dans de minuscules zones de cavitation – essentiellement de petites bulles. Des températures et des pressions extrêmes durant des billionièmes de seconde peuvent créer des géométries préconçues complexes impossibles à réaliser au moyen des techniques existantes.
« Les fréquences ultrasonores sont déjà utilisées dans diverses interventions destructives comme l’ablation par laser de tissus et de tumeurs. Nous voulions nous en servir pour créer quelque chose », explique Muthukumaran Packirisamy, professeur et titulaire d’une chaire de recherche au Département de génie mécanique, industriel et aérospatial de l’École de génie et d’informatique Gina-Cody de l’Université Concordia, et auteur-source de l’article.
Mohsen Habibi, attaché de recherche au Laboratoire de biomicrosystèmes optiques de l’Université, est l’auteur principal de l’article, tandis que Shervin Foroughi, doctorant et collègue au laboratoire, ainsi que Vahid Karamzadeh, ancien étudiant à la maîtrise, en sont les coauteurs.
Des réactions ultraprécises
Selon les chercheurs, l’impression sonore directe repose sur des réactions chimiques résultant des fluctuations de pression à l’intérieur de petites bulles suspendues dans une solution polymère liquide.
« Nous avons découvert qu’en utilisant un certain type d’ultrasons d’une fréquence et d’une puissance particulières, nous pouvions créer des zones favorisant des réactions chimiques très locales et concentrées, explique Mohsen Habibi. En fait, les bulles peuvent servir de réacteurs dans la transformation chimique de résine liquide en solides ou en semi-solides. »
Bien qu’elles ne durent que quelques picosecondes, les réactions causées par l’oscillation qu’entraînent les ondes ultrasonores dans les microbulles sont intenses. La température interne de chaque cavité bondit en effet à quelque 15 000 kelvins tandis que la pression dépasse 1 000 bars (à titre de comparaison, la pression terrestre au niveau de la mer est d’environ un bar). Le temps de réaction est d’ailleurs si bref que la matière adjacente ne subit aucune incidence.
Les chercheurs ont mené des expériences sur un polymère employé dans la fabrication additive appelé polydiméthylsiloxane. Grâce à un transducteur, ils ont généré un champ ultrasonore qui traverse l’enveloppe du matériau, solidifie la résine liquide ciblée, et la dépose sur une plateforme ou un autre objet préalablement solidifié. En suivant une trajectoire prédéterminée, le transducteur finit par créer le produit voulu pixel par pixel. Les paramètres de la microstructure peuvent être manipulés en modifiant la durée de la fréquence des ondes ultrasonores et la viscosité du matériau utilisé.
Polyvalent et spécifique
Les auteurs croient que la polyvalence de l’impression sonore directe profitera aux industries tablant sur un équipement très particulier et fragile. Le polymère polydiméthylsiloxane, par exemple, est largement utilisé dans le secteur de la microfluidique, où les fabricants nécessitent des environnements contrôlés (salles blanches) et recourent à une technique lithographique de pointe pour créer des dispositifs médicaux et des biocapteurs.
Le génie aérospatial et les réparations connexes pourraient également bénéficier de l’impression sonore directe, puisque les ondes ultrasonores pénètrent les surfaces opaques comme les coques métalliques. Les équipes d’entretien pourraient ainsi réparer des pièces situées au plus profond du fuselage d’un aéronef, inaccessibles aux techniques d’impression reposant sur les réactions photoactivées. L’impression sonore directe pourrait en outre comporter des applications médicales, par exemple pour l’impression à distance à même le corps d’êtres humains et d’animaux.
« Nous avons prouvé que nous pouvions imprimer de multiples matériaux, dont des polymères et des céramiques, conclut Muthukumaran Packirisamy. Nous allons maintenant nous attaquer aux composites polymérométalliques, pour un jour parvenir à imprimer des métaux à l’aide de cette méthode. »
L’étude a été financée par ALIGO INNOVATION, l’Université Concordia et le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologies (FRQNT).
Lisez l’article cité : « Direct sound printing ».