L’incertitude est un facteur clé dans le rapport entre accident du travail et santé mentale, selon une étude de l’Université Concordia
Si on sait que santé mentale et accidents du travail sont étroitement liés, on constate cependant d’importantes lacunes dans notre compréhension approfondie de ce rapport bidirectionnel. En quoi santé mentale et accidents du travail ont-ils une incidence l’un sur l’autre? Quels facteurs influent sur ce rapport, et quelles en sont les implications à long terme en ce qui concerne le rétablissement et le retour au travail?
Dans une récente méta-analyse de la littérature existante publiée dans la revue Personnel Psychology, le professeur adjoint de management Steve Granger et son coauteur de l’Université de Calgary Nick Turner soutiennent que le rapport n’est pas égal. En effet, selon leurs observations, il est plus probable que les accidents du travail précèdent les problèmes de santé mentale que les problèmes de santé mentale précèdent les accidents.
« Au départ, nous voulions simplement faire le point sur ce que nous savions en examinant les recherches déjà menées en anglais concernant ce rapport particulier », explique le professeur Granger.
« C’est ainsi que nous en sommes arrivés aux effets des problèmes de santé mentale sur les accidents du travail. Nous avons mis au jour ce rapport bidirectionnel et montré qu’un accident du travail peut susciter et exacerber des problèmes de santé mentale préexistants. De même, le fait d’être quotidiennement aux prises avec un trouble de santé mentale exerce un effet non négligeable sur la probabilité d’un accident du travail. »
Souffrir de ne pas savoir
Les auteurs s’appuient sur une théorie tirée de la littérature en sciences infirmières pour offrir une explication possible de leur découverte. La théorie de l’incertitude dans la maladie, élaborée à la fin des années 1980, est un modèle utilisé pour comprendre comment les personnes souffrant d’une maladie composent avec l’incertitude qui en découle et tentent de comprendre leur état. Selon Steve Granger, cette même théorie peut être appliquée aux victimes d’un accident du travail.
« Quand on se blesse, on a tendance à ressasser l’accident et à avoir un raisonnement contrefactuel du type “Et si j’avais pris congé ce jour-là?” ou “Et si j’avais refusé de faire ces heures supplémentaires?”. Ces cognitions négatives et pensées inadaptées peuvent exacerber les problèmes de santé mentale après une blessure. Elles sont toutes alimentées par l’incertitude. »
Il se produit alors un effet de boucle où les cognitions négatives peuvent rendre le milieu de travail encore plus dangereux, indique le Pr Granger.
« Quand on souffre de dépression ou d’anxiété, on a tendance à ressentir un poids supplémentaire sur ses épaules. Les tâches qu’on peut d’habitude accomplir régulièrement au travail semblent un peu plus difficiles, ou on est plus distrait et on n’arrive pas à se concentrer sur ce qu’il faut. »
Steve Granger ajoute que le rapport bidirectionnel n’est pas égal. Les données laissent à penser que le lien entre accidents du travail et problèmes de santé mentale subséquents est plus solide que celui entre problèmes de santé mentale et accidents du travail ultérieurs.
Pour les auteurs, ces découvertes ont d’importantes implications pratiques et théoriques, montrant d’abord et avant tout la nécessité de repenser la façon dont les blessures liées au travail sont traitées. Ils font valoir qu’il est urgent de mettre davantage l’accent sur une démarche de réadaptation psychologique parallèle aux programmes existants de réadaptation physique axés sur le retour au travail.
Traiter les aspects tant physiques que psychologiques de la réadaptation peut s’avérer une étape indispensable pour éviter la spirale descendante de problèmes de santé mentale pouvant découler d’un accident du travail. Pour Steve Granger et Nick Turner, assurer dignité, traitement juste et soutien adéquat sont des conditions essentielles à la réintégration dans le milieu de travail après une blessure.
« On veut que le retour au travail se fasse dès que possible, car plus l’absence est longue, plus la réintégration sera difficile et coûteuse », conclut Steve Granger.
Ce travail a été soutenu en partie par le Centre canadien pour le leadership avancé en entreprise, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et WorkplaceNL.
Lisez l’étude citée (en anglais seulement) : « Work injuries and mental health challenges: A meta-analysis of the bidirectional relationship »