Bâtir des villes durables
En conversation – Adel HANNA et Pierre BRISSET
Ces dernières années, les infrastructures de Montréal ont subi des défaillances destructrices, et la métropole a été durement éprouvée. Des ponts et des tunnels se sont écroulés, et des piétons ou des conducteurs ont été victimes de graves préjudices à la suite de nombreux problèmes touchant des édifices privés.
L’effondrement du viaduc du boulevard de la Concorde et la chute d’une dalle de béton de 25 tonnes dans le tunnel Viger comptent parmi ces désastres. Et la liste ne s’arrête pas là, puisque des briques et des morceaux de béton sont aussi tombés d’édifices privés.
« Le problème des constructions n’est pas lié au béton ni à l’acier, mais au sol », soutient Adel Hanna, professeur de génie à Concordia, souvent appelé à répondre aux demandes des médias pour commenter des incidents et des problèmes relatifs à la construction, à l’aménagement et au renouvellement des infrastructures. « Une construction repose sur le sol, et quand le terrain bouge ou travaille, elle suit le mouvement. »
Les réparations esthétiques ne suffisent plus, car les terrains deviennent rares et de plus en plus chers, et les infrastructures urbaines vieillissent. Il est donc urgent de trouver des solutions à longue échéance.
« Quand le problème est visible, il est déjà trop tard », prévient le Pr Hanna, qui réclame des efforts concertés. Tout comme un examen médical permet d’établir l’état de santé d’une personne et de détecter les problèmes avant qu’ils ne deviennent impossibles à traiter, il faut surveiller systématiquement l’état des structures.
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En conversation – Au-delà des manchettes
L’ingénieur de structures Adel Hanna et l’architecte Pierre Brisset sont d’avis que Montréal peut devenir une ville plus durable et vivable. Ils proposent d’entretenir et d’améliorer les structures en place, dans la mesure du possible, au lieu d’en construire de nouvelles.
« Peut-on préserver ou modifier une structure pour en prolonger la vie? Quand on se casse la jambe, la solution est un plâtre, pas l’amputation, soutient M. Brisset. Au lieu de recourir à des amputations majeures, il suffit peut-être de quelques interventions pour prolonger la vie d’un ouvrage. »
Les deux professionnels souhaitent un plan coordonné qui tienne compte des besoins à longue échéance de la ville. Une meilleure coordination assurerait la viabilité à long terme de l’infrastructure de la ville et la responsabilité en la matière.
À l’heure actuelle, on traite les problèmes au jour le jour et on applique souvent les solutions de manière incohérente.
Le Pr Hanna souligne que prévoir la longévité d’une structure exige une évaluation continuelle. La densité de la circulation sur l’infrastructure routière reliant Montréal à la Rive-Sud dépasse largement la capacité prévue à l’origine. « Pour une structure qui date de 50 ou 100 ans, nous pouvons prévoir la détérioration naturelle entraînée par les facteurs climatiques et l’usure des matériaux… cela va de soi. Mais qui aurait pu prévoir que la Rive-Sud serait un jour aussi peuplée? »
Montréal est-elle construite pour durer?
A.H. : Tous nos ouvrages de construction vieillissent, et nous faisons très peu de travaux d’entretien et d’inspection. Il se produit pourtant des changements avec le temps.
P.B. : Curieusement, les structures des années 1950 ont une durée de vie plus longue et semblent mieux survivre que celles des années 1960. La Métropolitaine a été construite à la fin des années 1950 et au début des années 1960, mais on a réussi à la préserver. On prévoit d’ailleurs en prolonger la durée encore de 50 ans.
Par contre, du côté sud, on compte remplacer l’ensemble des passages supérieurs de l’autoroute Ville-Marie ainsi que des échangeurs Turcot et Saint-Pierre, tous construits dans les années 1960.
A.H. : Quand une structure n’est plus apte à soutenir une circulation plus dense, il est temps de la remplacer. Par ailleurs, des travaux d’entretien sont nécessaires – un entretien régulier et des inspections adéquates par des ingénieurs qualifiés, pas seulement par des techniciens d’entretien. C’est ainsi que nous obtiendrons des structures durables.
Construire selon l’environnement
A.H. : Au centre-ville, il y a de la roche à 40 pieds. Comme les fondations du pavillon intégré Génie, informatique et arts visuels et du pavillon de l’École de gestion John-Molson reposent directement sur cette roche, chaque édifice possède trois niveaux souterrains, ce qui est remarquable.
P.B. : C’est ça, l’architecture durable. Il faut essentiellement arriver à comprendre les conditions dans lesquelles vous travaillez… Par exemple, comme on le sait, l’une des critiques dont font l’objet les travaux du projet Turcot concerne le lieu d’aménagement de la nouvelle autoroute et de la nouvelle voie ferrée. Il s’agit en effet d’un ancien lit de rivière, c’est-à-dire d’un sol à très faible capacité portante.
Notre raisonnement est le suivant : pourquoi investir autant d’argent dans l’aménagement d’une infrastructure sur un terrain qui n’a pas la capacité portante adéquate et qui coûtera très cher à stabiliser? En avons-nous les moyens?
Entretenir au lieu de reconstruire
P.B. : Par le passé, nous avons été gâtés. Une construction n’attendait pas l’autre – nous bâtissions des autoroutes, des réseaux, des métros, etc. Mais dans le monde d’aujourd’hui, nous n’avons pas les moyens de reconstruire tout cela.
[…] Les coûts sont tout simplement trop élevés. Qui va payer la facture? Habituellement, la reconstruction d’une structure coûte cinq fois plus cher que la construction initiale parce qu’il faut maintenir la structure existante pendant qu’on reconstruit, ce qui est très compliqué.
A.H. : Il y a 50 ans, nous pouvions nous permettre de choisir tel ou tel emplacement pour construire. À présent, les terrains disponibles se font très rares... Nous devons vraiment entretenir les constructions actuelles et [quand il le faut] construire pour 100 ans.
[…] En étudiant les 100 dernières années, nous devrions être en mesure de prévoir les 100 prochaines années. C’est la façon de procéder. Il n’y a pas d’autre technique que l’étude du passé pour préparer l’avenir.
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Adel Hanna a quitté l’Égypte, son pays natal, pour s’installer au Canada après avoir terminé sa maîtrise à l’Université du Caire. Il est entré à la Faculté de génie et d’informatique de Concordia en 1978, année où il a obtenu son doctorat de l’Université technique de la Nouvelle-Écosse.
Les jeux de construction de son enfance n’ont jamais cessé de le fasciner. Il n’avait pas encore entrepris ses études secondaires qu’il avait déjà décidé de se lancer dans une carrière d’ingénieur de structures. Il s’intéresse principalement au génie géotechnique – l’étude de l’influence des conditions du sol sur les défis liés à la construction en surface.
Fort de cette expertise unique au sein du Département de génie du bâtiment, civil et environnemental de Concordia, le Pr Hanna a élaboré plusieurs cours dans le domaine et a travaillé avec plus de 100 étudiants des cycles supérieurs.
Fellow de l’American Society of Civil Engineering, le Pr Hanna a souvent agi à titre de consultant privé. Il a également contribué à des manuels sur les études de fondation partout en Amérique du Nord et publié plus de 150 communications scientifiques.
Architecte de profession, Pierre Brisset s’est découvert un intérêt pour les enjeux relatifs au transport urbain.
Depuis 1975, année où il est devenu membre de l’Ordre des architectes du Québec, il a participé à de nombreux projets à Montréal, y compris l’agrandissement du collège Dawson et les modifications apportées à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Dernièrement, ses travaux de restauration de la Mission Old Brewery ont été reconnus par Design Montréal et Héritage Montréal.
Il est l’un des membres fondateurs du Groupe en recherche urbaine Hochelaga-Maisonneuve, qui élabore des stratégies de transport créatives pour l’est de Montréal, par exemple le train léger sur rail. Les travaux qu’il a réalisés pour trouver une solution au problème de l’échangeur Turcot, en collaboration avec Pierre Gauthier, professeur agrégé à Concordia, ont été publiés en 2008 dans le livre Montréal at the Crossroads.