Comment ce cours a-t-il vu le jour et comment en êtes-vous venue à collaborer avec l’Office des règles et des normes?
Je voulais trouver de nouvelles solutions de logement qui vont au-delà des logements sociaux. Au cours des trois dernières années, je me suis investie dans un projet appelé Vivacité pour trouver de nouveaux types de logements à caractère non spéculatif, des propriétés perpétuellement abordables. J’ai examiné l’élément central de la crise du logement. J’ai commencé à saisir les mécanismes qui rendent la tâche de construire des logements abordables si difficile et j’ai acquis une compréhension plus concrète de la façon dont le système est structuré.
Grâce à ce travail, je me suis intéressée davantage aux raisons fondamentales qui rendent les villes si inabordables, ce qui m’a amenée à faire la connaissance de Jonathan Lapalme de l’Office des règles et des normes. Ce studio s’inspire de l’idée selon laquelle les règles et les normes forment les architectures intérieures de nos sociétés, mais sont difficiles à cerner et à comprendre. Pouvons-nous en tant qu’artistes nous familiariser avec l’architecture profonde de ces systèmes, les rendre plus visibles et y réfléchir de façon plus critique?
Comme Jonathan et moi partagions ces idées, il m’a demandé si j’aimerais animer ce séminaire.
J’ai toujours trouvé fascinant de collaborer avec des artistes, car je crois sincèrement qu’ils peuvent se rendre aux confins du débat public et de la conscience collective. Ils sont libres d’explorer des idées gênantes. Parfois, mon point de vue les aide à approfondir leur travail. Nos conversations sont particulièrement stimulantes et créatives, et je dirais même que ce type d’échange est capital pour moi.
Que voulez-vous dire au juste par « spéculation » et « anti-spéculation »?
Pour moi, les concepts de spéculation et de logement spéculatif se rapportent à la façon dont nous avons pris la terre, à ce que nous y avons bâti (des maisons, des magasins, etc.) et à la manière dont nous en avons fait un produit financier et un moyen de placement. Nous faisons ça de plus en plus vite. Tout le système s’articule autour de l’extraction de valeur privée de la terre et des unités d’habitation, afin que celles-ci puissent devenir des instruments de placement de plus en plus liquides et rien de plus. Telle est la logique de la spéculation.
L’anti-spéculation, c’est tout ce qui tente de prendre la terre, les logements et ce qui est construit sur la terre et de les rapprocher de nouveau de la façon dont nous les utilisons. Pas en tant que valeur d’échange, mais plutôt que de valeur liée au fait qu’il s’agit d’un endroit de vie, de rencontre, de passion et de travail : les éléments fondamentaux de la vie humaine et de la façon dont nous nouons des liens entre nous et avec d’autres espèces.
Voilà la grande distinction entre les logements spéculatifs et non spéculatifs.
Nous devons examiner de près la façon dont nous employons la terre à l’heure actuelle. Nous nous en servons comme mécanisme pour emmagasiner de la valeur. Les outils dont nous disposons à ce jour nous permettent seulement d’aborder cette valeur d’un point de vue individuel et exclusif. Avant d’être en mesure d’éliminer la notion de propriété privée, peut-être pourrions-nous penser à des mécanismes permettant de mieux redistribuer la valeur conservée dans la terre. Il existe une nouvelle génération d’outils numériques et de débats entourant ces questions, et j’en déduis que nous avons un moyen pour agir!
Que peuvent attendre les étudiants de ce séminaire?
Je travaille à la formulation de questions auxquelles, en toute honnêteté, je n’ai pas les réponses. Le but de ce cours est de nous faire aller ensemble dans des territoires peu familiers et de donner aux étudiantes et étudiants le sentiment qu’en tant qu’artistes, ils apportent une perspective sur ces sujets qui est absolument cruciale dans le débat.
Dans le cours, je souhaite explorer cinq systèmes : la propriété privée, le capitalisme résidentiel, l’urbanisme fiscal, un modèle de construction spéculative et les investissements étrangers. J’ai vraiment hâte parce que j’ai des intuitions au sujet de la façon dont nous pouvons rendre ces systèmes visibles et interagir avec eux d’une façon efficace, mais le programme reste très ouvert. Comment pouvons-nous amener les gens à comprendre les racines profondes de la propriété privée?
Comment pouvons-nous trouver des points d’entrée pour transcender ce type de point de vue sur l’embourgeoisement qui se fonde sur une mentalité du « nous contre eux »?
Considérez-vous que ce cours adopte une perspective décoloniale?
Oui, absolument. Au cours des derniers mois, alors que je travaillais de plus en plus avec des penseurs et des communautés autochtones, j’ai eu un gros déclic. Je pense que le fait de reconnaître la spéculation est une forme de réconciliation profonde, mais je ne suis pas experte en la matière. Cette idée est nouvelle pour moi et j’ai hâte de donner ce cours pour me familiariser davantage avec ce concept, et ce, en toute humilité, puisque je ne connais pas les réponses. Nous sommes dans cette situation à l’heure actuelle parce que notre lien à la terre est fondamentalement brisé. Nous avons besoin de retisser et de reconstruire de nouveaux types de relations avec la terre, et les perspectives autochtones peuvent nous indiquer de quelle manière nous y prendre.
Il s’agit d’une conversation très épineuse. Les gens qui possèdent déjà une maison peuvent penser « me rendre jusqu’ici a été si difficile, je veux que rien ne change! » Et je les comprends. C’est pourquoi les artistes ont un important rôle à jouer. Ils peuvent proposer de nouvelles formes de rapports avec la terre et les autres, s’intéresser à la structure de ces systèmes et se familiariser avec les craintes et les anxiétés qui y sont ancrées.
[Anti] Speculation-Excess and the City [PERC 498] est ouvert à tous les étudiants de l’Université Concordia. Les personnes intéressées peuvent s’y inscrire jusqu’au 20 janvier – un nombre de places limité est encore disponible. Renseignements : Perla.Muyal@concordia.ca.
Pour en savoir plus sur l’Office des règles et des normes, écrivez à fannie.gadouas@concordia.ca pour vous inscrire à la liste d’envoi.