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Avoir un accent, une source de préjugés lorsqu’on cherche un emploi

11 mars 2025
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Par Pavel Trofimovich, Cesar Teló, Mary Grantham O'Brien


(Shutterstock)

Tout le monde s’accorde pour dire que la recherche d’emploi n’est jamais simple. Cette expérience peut s’avérer d’autant plus difficile pour les personnes immigrantes qui ont un accent.

Un accent peut souvent avoir une incidence sur la façon dont les autres nous perçoivent et nous jugent. Même si l’on maîtrise une langue seconde, le fait d’avoir un accent considéré comme « étranger » peut encore donner l’impression d’être une barrière.

Le nombre de nouveaux arrivants au Canada qui cherchent un emploi augmente ; il est donc important de mieux comprendre les préjugés liés à l’accent.

Dans le cadre de nos recherches, nous nous sommes intéressés à la manière dont l’accent dans une langue seconde est associé aux préjugés des interlocuteurs, c’est-à-dire aux réactions négatives à l’égard d’un locuteur dont la prononciation est influencée par les langues qu’il a apprises auparavant.

Nous avons mené des études sur ce que les formateurs, étudiants et professionnels en ressources humaines savent des préjugés liés à l’accent, comment ils les comprennent et comment ils en tiennent compte au moment d’évaluer une candidature.

Une femme tient une feuille de papier, assise à une table en face d’un homme qui parle. Elle a une expression sceptique
(Shutterstock)

Accents et préjugés

Avoir un accent est normal. Cela indique qu’une personne parle une langue ou un dialecte d’une zone géographique précise, ou qu’elle parle une langue seconde, différente de celle qu’elle parlait dans son enfance.

Les gens remarquent facilement les accents, même s’ils ont généralement peu de difficulté à comprendre les personnes qui en ont un. Cependant, bien des gens, y compris ceux-là mêmes qui ont un accent, estiment qu’il faut changer son accent ou travailler fort pour s’en débarrasser.

Certaines personnes suivent des cours de modification de l’accent par choix ou parce qu’on les incite à le faire. Pourtant, de nombreuses recherches montrent que ce genre de formation est généralement inefficace.


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Plusieurs raisons peuvent pousser une personne à changer la façon dont elle parle. Les accents fournissent aux interlocuteurs des renseignements sur les locuteurs, comme leur origine ou les autres langues qu’ils parlent. Toutefois, ils peuvent aussi prêter flanc aux préjugés.

Par exemple, les personnes qui parlent avec un accent peuvent être considérées comme moins dignes de confiance, moins intelligentes ou moins agréables à écouter. Elles peuvent également faire l’objet de discrimination dans le système juridique et le marché du logement.

Les préjugés liés à l’accent se manifestent aussi sur le marché du travail : exclusion, salaire inférieur, faible employabilité (en particulier dans les emplois où les exigences en matière de communication sont élevées) et moins d’occasions professionnelles. Enfin, de tels préjugés ont des conséquences néfastes sur le bien-être d’une personne, notamment une augmentation du stress et une détérioration de la santé mentale.

L’obtention d’un emploi étant cruciale pour les nouveaux arrivants, il est essentiel de comprendre la position des spécialistes des ressources humaines sur la question puisqu’ils sont les gardiens de l’accès aux emplois lucratifs.

Un homme et une femme sont assis à un bureau et examinent une feuille
 (Shutterstock)

Recherche en RH

Nous avons commencé notre recherche en trois volets en menant des entrevues auprès de 14 étudiants en RH, de six formateurs en RH et de 16 professionnels en RH dans deux villes canadiennes, Calgary et Montréal, afin de connaître leur point de vue sur les préjugés liés à l’accent.

Nous avons constaté que les formateurs en ressources humaines n’abordent généralement pas la question des accents dans leurs cours universitaires. Néanmoins, les étudiants comprennent le phénomène et peuvent donner des exemples de préjugés et de discriminations liés à l’accent tirés de leurs propres expériences. De plus, les professionnels avec lesquels nous nous sommes entretenus estiment que les qualifications d’une personne et sa capacité à communiquer efficacement sont plus importantes que l’absence d’accent.

Malgré l’attitude positive des personnes interrogées et leur volonté de s’intéresser aux préjugés et à leurs conséquences dans le monde réel, les opinions stéréotypées sur les accents demeurent.

Ces résultats nous ont amenés à évaluer le rôle que jouent les accents dans la prise de décision des étudiants en RH quant à l’employabilité d’une personne candidate. Nous avons demandé à 80 étudiants de Calgary et de Montréal d’écouter des enregistrements de simulations d’entretiens d’embauche. Les faux candidats avaient des origines linguistiques variées : arabe, anglais et tagalog. Nous avons ensuite demandé aux étudiants d’indiquer dans quelle mesure ils seraient susceptibles d’embaucher ces personnes s’il s’agissait de professionnels.

Les recherches font souvent état de préjugés à l’encontre des candidats dont les CV et les accents les présentent comme de nouveaux arrivants. Cependant, les étudiants de notre étude pouvaient facilement faire la distinction entre les candidats les plus qualifiés et les moins qualifiés, indépendamment de leur bagage linguistique. Dans certains cas, ils ont préféré les candidats hautement qualifiés de langue tagalog et arabe aux candidats dont l’anglais était la langue maternelle.

Notre étude de suivi auprès de professionnels des RH a également souligné leur capacité à se concentrer sur les compétences et les connaissances des candidats et leur volonté de ne pas tenir compte de l’accent.

Séance d’échange

Étant donné que les locuteurs d’une langue seconde ont des inquiétudes concernant leur accent et que les étudiants et les professionnels des RH souhaitent recevoir une formation sur les préjugés liés à l’accent, nous avons organisé une séance d’échange avec de nouveaux arrivants au Canada et des professionnels des RH pour aborder le sujet.

Les participants ont été invités à discuter des mythes sur les accents, notamment l’idée que les personnes qui ont un accent ne sont pas disposées à s’intégrer dans le monde du travail canadien. Ils devaient également réfléchir au fait que les accents font partie du patrimoine culturel d’une personne et ne sont pas le fait d’un manque d’effort d’adaptation.

Les nouveaux arrivants ont indiqué que leur accent est un signe de leur identité. Les professionnels des RH ont noté une meilleure compréhension des implications d’un accent. Tout le monde s’est accordé sur l’importance d’évaluer les candidats en fonction de leur expérience et de leur capacité à communiquer plutôt que de chercher une personne qui possède l’accent local.

 

Les accents dans le monde réel

Des stéréotypes naissent lorsqu’une personne voit des gens appartenant à certains groupes sociaux occuper des postes qui lui sont habituellement réservés. Pour changer les stéréotypes et atténuer les préjugés, il est nécessaire d’améliorer la représentation des locuteurs ayant un accent dans des professions de premier plan telles que les avocats, les journalistes et les politiciens.

Les contacts entre groupes sont également un outil puissant pour réduire les préjugés. Les milieux de travail devraient offrir aux travailleurs la possibilité de collaborer au sein d’équipes composées de gens qualifiés et performants qui parlent une langue seconde. Cela contribuerait grandement à dissiper les divers mythes sur les accents, notamment l’idée que les locuteurs d’une langue seconde et les nouveaux arrivants ne sont aptes qu’à occuper des emplois de premier échelon et peu prestigieux, ou que leurs performances sont inférieures à celles des personnes dont le français ou l’anglais est la langue maternelle.

Nos accents font partie de notre identité et le fait d’avoir un accent « étranger » ne signifie pas qu’une personne est moins qualifiée ou moins apte à occuper un emploi. À mesure que le Canada se diversifie, il est courant d’entendre des accents différents. Le fait d’entretenir des interactions fructueuses avec les nouveaux arrivants favorisera une meilleure intégration des personnes qui parlent avec un accent.The Conversation

Mary Grantham O'Brien, Professor of Linguistics; Vice-Provost and Dean of Graduate Studies, Simon Fraser University; Cesar Teló, PhD student in Applied Linguistics, Concordia University, and Pavel Trofimovich, Professor of Applied Linguistics, Department of Education, Concordia University

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.




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