
Le gouvernement australien a récemment adopté une loi interdisant les médias sociaux aux moins de 16 ans. Le premier ministre Anthony Albanese a salué cette mesure « qui fait porter aux plates-formes de médias sociaux — et non aux jeunes ou à leurs parents »– la responsabilité de protéger la jeunesse contre les dangers en ligne.
L’Australie est le premier pays au monde à décréter à l’échelle nationale une interdiction des médias sociaux pour les adolescents ; celle-ci entrera en vigueur dans un an. Mais d’autres mesures ont été adoptées ou envisagées au Canada et ailleurs.
Aux États-Unis, et plus précisément en Floride, il sera illégal pour les jeunes de moins de 14 ans d’avoir un compte de médias sociaux à partir du 1ᵉʳ janvier 2025.
Le Québec et l’Ontario réagissent
En 2024, le Québec a commencé à interdire les cellulaires dans les salles de classe. Cet automne, à la rentrée scolaire 2024-2025, l’Ontario a également mis en place l’interdiction des téléphones portables dans les écoles.
Cette mesure découle d’une action en justice intentée par quatre conseils scolaires ontariens contre des entreprises de médias sociaux accusées de perturber l’apprentissage des jeunes.
Suivant l’exemple de l’Australie, le Québec envisagerait également une interdiction des médias sociaux qui limiterait leur utilisation par les moins de 16 ans. Ainsi, reconnaissant que les médias sociaux et les cellulaires peuvent s’avérer problématiques pour les jeunes, les gouvernements provinciaux ont décidé de ne pas attendre l’intervention du gouvernement fédéral dans ce dossier.
Quant au premier ministre Justin Trudeau, il a récemment annoncé que la Loi sur les préjudices en ligne (projet de loi C-63), initialement présentée en février 2024, sera séparée en deux projets de loi. Il entend ainsi faire adopter en priorité la partie du projet de loi axée sur la protection de l’enfance afin de s’attaquer aux problèmes tels que la sextorsion, les abus sexuels fondés sur l’image, la vengeance pornographique et d’autres formes de violence sexuelle en ligne.
Or, comme la Loi sur les préjudices en ligne est encore à l’étude, les députés canadiens pourraient se tourner vers d’autres pays, comme l’Australie, pour obtenir des conseils en vue de protéger les jeunes contre les préjudices en ligne.
Les jeunes et les préjudices en ligne
Au Canada, certains — y compris des adolescents — approuvent l’interdiction des médias sociaux adoptée en Australie et la considèrent même comme une solution potentielle. L’idée a également fait son chemin dans le discours public, comme en témoigne la parution du livre The Anxious Generation, dont l’auteur soutient que les médias sociaux devraient être interdits jusqu’à l’âge de 16 ans.
Beaucoup d’entre nous se souviennent peut-être des histoires de Rehtaeh Parsons, d’Amanda Todd et, plus récemment, d’un garçon de la Colombie-Britannique, qui se sont suicidés après avoir été victimes de cyberintimidation et de sextorsion.
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Selon plusieurs études, l’utilisation des médias sociaux est liée à l’anxiété et à la dépression chez les adolescents. Or, les interdictions ou les réglementations soulèvent d’importantes questions sur la manière dont nous devons, en tant que société, réagir à l’utilisation des médias sociaux par les jeunes et gérer les préjudices en ligne.
Défis posés par les interdictions
Notre équipe de recherche examine la violence sexuelle facilitée par la technologie chez les adolescents âgés de 13 à 18 ans au Canada. Nous avons organisé 26 groupes de discussion avec 149 jeunes du pays, et lancé une enquête à l’échelle nationale auprès d’un échantillon représentatif d’environ 1 000 jeunes afin de connaître leur expérience des préjudices en ligne, ce qu’ils savent de la loi et les ressources qui, selon eux, fonctionnent ou ne fonctionnent pas.
Nos résultats préliminaires montrent que les jeunes subissent divers préjudices lorsqu’ils utilisent les plates-formes numériques et les médias sociaux. Nous observons également que les algorithmes alimentent les préjudices. Les sujets ont insisté sur le fait qu’ils aimeraient bénéficier d’un soutien et de ressources sur mesure pour les aider à rendre leurs expériences avec la technologie sécuritaires, saines et agréables.
Une interdiction totale des médias sociaux n’est pas réaliste, en partie parce que les entreprises de médias sociaux ne sauraient pas comment la mettre en œuvre. Parmi les solutions de rechange évoquées, il y a celle d’utiliser la technologie de reconnaissance faciale ou de vérifier l’âge au moyen de cartes de crédit. On a aussi proposé le téléchargement des cartes d’identité gouvernementales sur des plates-formes tierces pour permettre la vérification de l’âge.
Quelle que soit la manière dont l’interdiction serait mise en œuvre, elle permettrait très certainement de recueillir davantage de données sur les utilisateurs, ce qui soulève des questions de confidentialité et de sécurité des données des jeunes. Une interdiction pourrait aussi inciter les adolescents à se tourner vers d’autres plates-formes moins réglementées, comme le Web caché, et il serait alors encore plus difficile de les protéger contre les préjudices en ligne.
En fait, les interdictions ne résolvent pas le problème. Par exemple, les interventions reposant sur l’abstinence ne fonctionnent pas dans une optique d’éducation sexuelle. Il est donc improbable qu’une approche fondée sur l’abstinence fonctionne dans le cas des médias sociaux.

Par ailleurs, la technologie est de plus en plus intégrée à notre quotidien, et les adolescents doivent apprendre à avoir des interactions saines et responsables en ligne.
Les jeunes apprennent à devenir des citoyens numériques. Repousser le problème jusqu’à ce qu’ils aient 16 ans ou plus ne fera qu’en retarder les conséquences, au lieu de le résoudre. Cela pourrait même causer un tort plus grave que celui qu’on espère prévenir par une interdiction.
De plus, une interdiction libérerait les entreprises de médias sociaux, les gouvernements et les parents de toute responsabilité. Plutôt que de s’attaquer de manière conséquente aux contenus préjudiciables et à leurs répercussions, une interdiction dégagerait de toute responsabilité les personnes et les institutions dont le rôle est de protéger la jeunesse.
Interventions holistiques
Les entreprises technologiques doivent concevoir leurs produits en pensant aux enfants au lieu de privilégier leurs profits et de faire passer la sécurité et la santé des adolescents au second plan. Les jeunes ont besoin d’être guidés et soutenus, et une interdiction ne contribue en rien à éliminer les contenus préjudiciables ou à en prévenir les effets néfastes.
Plutôt que de décréter des interdictions, nous suggérons de mettre en œuvre des interventions holistiques qui mettent l’accent sur la citoyenneté numérique et les droits et responsabilités des jeunes. Ainsi, chaque personne, quel que soit son âge, apprendra à avoir des interactions sécuritaires et saines avec la technologie. Cette démarche exige un effort consolidé de la part de divers secteurs de la société, notamment les écoles, les organismes communautaires et, surtout, les entreprises technologiques et les organismes gouvernementaux.
Bien qu’il existe des ressources à la disposition des éducateurs, des parents et des jeunes sur les façons d’avoir des interactions en ligne sécuritaires et saines, nous devons agir maintenant.
Plutôt que de recourir à des interdictions générales, nous devons opérer de vastes changements sociétaux ciblant les causes profondes des préjudices. Ainsi, nous favoriserons la sécurité des jeunes et aiderons nos communautés à faire face aux dangers en ligne.
Christopher Dietzel, Postdoctoral fellow, the DIGS Lab, Concordia University and Kaitlynn Mendes, Canada Research Chair in Inequality and Gender, Western University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.