
La résistance aux antimicrobiens (RAM) compte parmi les défis sanitaires les plus urgents que l’Organisation mondiale de la santé aura à relever au cours de la prochaine décennie.
Si la RAM représente un défi à l’échelle mondiale, deux réalités distinctes se présentent toutefois à nous, d’où ressort la plus grande vulnérabilité des pays à revenu faible ou intermédiaire (PRFI).
L’utilisation abusive des antimicrobiens partout dans le monde a accéléré l’évolution de la résistance à ce type de médicaments. Ainsi, dans de nombreux pays, les antibiotiques sont offerts en vente libre. Même lorsque leur utilisation est plus réglementée, selon une estimation des Centers for Disease Control, aux États-Unis, les antibiotiques sont prescrits inutilement une fois sur trois.
De plus, dans la plupart des cas, les antibiotiques ne sont pas administrés aux humains. Pas moins de 80 % de la consommation totale s’applique au bétail. Les antibiotiques servent à favoriser la croissance des bêtes et à traiter ou prévenir les infections.
C’est en raison de cette utilisation que des bactéries et d’autres microorganismes – que l’on appelle parfois superbactéries – ont acquis la capacité de résister à des médicaments qui étaient auparavant efficaces pour les traiter. Ce problème est associé à 4,95 millions de décès dans le monde en 2019.
Une « pandémie » silencieuse

Si nous ne réagissons pas, la situation risque encore de s’aggraver. Des rapports prévoient que d’ici 2050, la RAM pourrait entraîner 10 millions de morts chaque année et des coûts s’élevant à 100 000 milliards de dollars US à l’échelle mondiale.
Heureusement, de nombreux pays prennent maintenant des mesures énergiques afin de juguler ce que l’OMS qualifie de « pandémie silencieuse ». Reconnaissant la gravité de la situation, les pays à revenu élevé (PRÉ) comme les États-Unis et le Canada ont mis en œuvre des plans musclés assortis de mesures de surveillance et d’intendance ainsi que de réformes politiques.
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Ces initiatives doivent assurément être saluées. Toutefois, selon l’un des importants principes – souvent négligé – de l’approche « Une seule santé », il s’agit d’un problème mondial dont la résolution exige une collaboration à l’échelle mondiale. Le fardeau lié à la RAM pèse de façon disproportionnée sur les pays à revenu faible ou intermédiaire, et cette situation appelle une mobilisation accrue de ressources, une meilleure transmission des connaissances et une plus grande coopération internationale.
Des réalités contrastées
En tant que chercheuse doctorale, j’étudie l’évolution de la résistance aux antimicrobiens acquise par les bactéries, mais en tant qu’immigrante originaire du Mexique, je suis extrêmement préoccupée par les disparités observées entre les pays à revenu élevé et ceux à revenu faible ou intermédiaire, et par leurs réalités contrastées.

Ainsi, d’importants efforts ont été déployés afin de réglementer l’utilisation des antibiotiques dans de nombreux PRÉ, où l’administration d’antibiotiques au bétail a diminué et où les antibiotiques ne peuvent être obtenus qu’au moyen d’une ordonnance. Il reste encore des progrès à faire dans ces pays, mais la situation est encore moins encourageante dans certains PRFI, où on peut aisément se procurer des antibiotiques sans ordonnance et où ces médicaments constituent parfois une solution de rechange face à la difficulté d’accéder à des professionnels de la santé.
De même, dans certains PRFI, on prévoit que la quantité d’antibiotiques administrée aux animaux doublera d’ici 2030 par rapport à la dernière décennie.
Un rapport récent explorant la situation de la RAM dans les Amériques en 2019 fait état des « multiples réalités » du problème. Sans surprise, en 2019, les quatre pays ayant les taux de mortalité liés à la RAM les plus bas (normalisés selon l’âge) disposaient chacun d’un plan d’action national subventionné de lutte contre la RAM, alors qu’aucun des dix pays ayant les taux de mortalité les plus élevés ne bénéficiait d’un tel plan.
L’UNICEF rapporte un fait étonnant : plus de la moitié de la population mondiale ne dispose pas d’installations sanitaires sûres et plus de 2,2 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à un approvisionnement en eau salubre. Cette situation est extrêmement préoccupante pour diverses raisons, mais il est certain que des installations d’assainissement fiables et une bonne hygiène sont des conditions essentielles pour limiter la propagation des microbes et réduire le risque d’infection.
L’approche adoptée actuellement par la plupart des pays à revenu élevé équivaut à se réfugier dans le grenier en s’assurant que l’alarme incendie fonctionne correctement, alors que le sous-sol est en feu.
Une propagation mondiale

Les bactéries antibiorésistantes peuvent évoluer n’importe où. Même si certains pays arrivent à limiter le problème à l’intérieur de leurs frontières, le risque demeure présent. Les bactéries résistantes ou les gènes qui permettent aux bactéries de se développer malgré la présence d’un antibiotique peuvent se propager d’un pays à l’autre de diverses façons, notamment les voyages, l’immigration, les échanges commerciaux et même les processus naturels comme la circulation de l’eau et de l’air.
C’est le cas du gène de résistance NDM-1, décrit pour la première fois en 2009. Cinq ans seulement après le premier rapport, on a signalé la présence de ce gène de résistance pratiquement partout dans le monde.
Nous avons tous pu observer de près le phénomène de la propagation mondiale, la pandémie de Covid-19 ayant démontré de manière éclatante à quel point les agents pathogènes peuvent voyager rapidement d’un bout à l’autre de la planète.
Communication et collaboration
Il est essentiel que les pays renforcent les canaux de communication et favorisent l’éducation sur la RAM dans plusieurs secteurs, notamment le grand public, les fournisseurs de soins de santé, les agriculteurs et les vétérinaires. En outre, il est urgent de mettre en place des systèmes de surveillance efficaces permettant de détecter rapidement les épidémies et de réagir sans tarder.
La normalisation des systèmes de surveillance pourrait donner lieu à une communication transfrontalière efficace, ce qui permettrait de comparer avec précision les résultats entre les pays. Cette communication faciliterait la mise en commun d’importantes ressources, de matériel et de personnel qualifié et favoriserait l’accès à des formations.
Les PRÉ et les PRFI doivent collaborer étroitement à la mise en œuvre de mesures visant à réduire les taux d’infection, comme l’adoption de pratiques d’assainissement améliorées. Ce type de collaboration est propice aux échanges de connaissances et d’expertise et favorise l’adoption de pratiques exemplaires à l’échelle mondiale.
Comprenant que cette menace ne peut être jugulée en agissant uniquement sur son propre territoire, le gouvernement du Royaume-Uni a donné le bon exemple en août, lorsqu’il a alloué 210 millions de livres sterling (environ 360 millions de dollars canadiens) à la lutte contre le problème de la RAM partout en Asie et en Afrique au cours des trois prochaines années. Ces ressources permettront d’accroître la surveillance dans 25 pays où la menace que représente la RAM est la plus grande. Elles serviront également à moderniser les laboratoires et à renforcer le personnel des soins de santé dans ces pays.
Loin d’être un luxe, la coopération internationale est essentielle pour combattre efficacement la RAM. Les PRÉ doivent soutenir les PRFI pour s’attaquer à cette crise. En mettant les ressources, les connaissances et l’expertise en commun, nous pourrons tous ensemble atténuer le risque de RAM.
En préservant l’efficacité des antibiotiques, nous nous protégeons et nous protégeons les générations futures des conséquences dévastatrices de la résistance aux antimicrobiens. C’est ensemble que nous pourrons faire bouger les choses dans la lutte mondiale contre les superbactéries.
Laura Domínguez Mercado, Doctoral Researcher and Public Scholar, Biochemistry, Concordia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.