
Au moment de son investiture, le 20 janvier, le président Trump a signé un décret exécutif déclarant illégaux les programmes et politiques d'équité, diversité et inclusion (EDI) au sein de l’État fédéral.
Intitulé sans équivoque « Ending Radical and Wasteful Government DEI Programs and Preferencing », ce décret stipulait que « les Américains méritent un gouvernement déterminé à servir chaque personne avec la même dignité et le même respect, et à consacrer les précieuses ressources des contribuables uniquement à rendre la grandeur de l’Amérique ».
De plus, à cette occasion, Trump a promis de mettre de l’avant des mesures coercitives contre les entreprises s’engageant vers des programmes de type DEI. Rappelons que Elon Musk, qui dirige le nouveau bureau d’efficacité du gouvernement américain (DOGE), avait pavé la voie à un tel décret en déclarant en 2023 que les programmes EDI devaient mourir (ce sont ses mots) et être remplacés par des programmes de type Mérite, Excellence et d’Intelligence (MEI).
Dans le débat médiatique, on retrouve souvent la fausse dichotomie entre mérite et inclusion. Il y aurait la perception d’une discrimination inversée qui favoriserait certains groupes au détriment d’autres, notamment les hommes blancs. On déplore aussi l’ajout de dépenses injustifiées, compte tenu des difficultés économiques que traversent les entreprises.
Respectivement doyenne de l’École de gestion John Molson, et experte depuis plusieurs décennies de la place des femmes dans les hautes sphères du milieu des affaires, nous nous portons en porte-à-faux de ces perceptions négatives vis-à-vis des programmes d'équité, diversité et inclusion.
Les humains prennent des décisions fondées sur des préjugés
Pour Elon Musk et Alexandr Wang, co-fondateur et PDG de Scale AI, le recours à des programmes MEI ferait en sorte que les processus de recrutement fondés sur le mérite feront émerger des talents issus de la diversité, avec des variétés de perspectives et d’idées.
Mais comment définir le mérite ? Selon l’Académie française, il s’agit de l’ensemble des qualités qui rendent une personne ou ses actions dignes d’estime et de louanges. Le mérite sous-tend un processus de sélection qui permet d’apprécier les qualités d’une personne en fonction de certains critères. Or, déjà au XVIIe siècle, l’écrivain et noble français François de La Rochefoucauld notait que « le monde récompense plus souvent les apparences du mérite que le mérite même ».
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Plusieurs études démontrent en effet que les processus de sélection sont biaisés et injustes. Des biais inconscients liés au racisme, à l’âgisme et au sexisme influencent de manière importante les processus de recrutement. Même si certains ont cru que le recrutement algorithmique représentait une opportunité d’atténuer ces préjugés, celui-ci comporte également le risque de les renforcer et de les amplifier, causant du tort et nuisant à la fiabilité des processus.

Ainsi, les humains prennent des décisions fondées sur des préjugés. Les gens ont tendance à embaucher des personnes avec lesquelles ils et elles ont des affinités : amis, parents, famille, anciens collègues. Autrement dit, ils s’entourent de personnes qui les mettent à l’aise. La présence toujours déficitaire de femmes dans les postes de haute direction est un exemple probant de cette discrimination inconsciente dans les processus de sélection.
Bref, une quête du mérite et de l’excellence, qui occulte les biais des comités de sélection et d’embauche, risque de faire fi de la réalité de toute personne pouvant être confrontée à de la discrimination au travail.
Plus de diversité, meilleures décisions
Bien que l’excellence puisse tout autant émerger dans des groupes homogènes que diversifiés, des études suggèrent que ces derniers sont préférables pour des emplois innovants, complexes et requérant une pensée critique. L’étude des psychologues américains David Rock et Heidi Grant intitulée « Why Diverse Teams Are Smarter » suggère ainsi que la diversité au sein des équipes améliore la qualité de la prise de décision et favorise l’innovation.
Plusieurs autres études démontrent que les initiatives DEI ont un impact positif sur les organisations. En voici deux :
- Une étude de McKinsey, intitulée « Diversity Wins : How Inclusion Matters » montre que les entreprises qui ont davantage recours à la diversité des genres sont plus susceptibles d’avoir une rentabilité supérieure à la moyenne dans leur secteur. De plus, celles ayant une diversité ethnique élevée ont 36 % plus de chances d’afficher des performances financières supérieures.

- Une étude de Cloverpop conclut que les équipes avec un haut taux de diversité prennent de meilleures décisions dans 87 % des cas que celles étant homogènes.
Costco et Apple résistent aux assauts anti-EDI
Ajoutons aux résultats de ces recherches la réplique menée par certaines grandes entreprises qui ont exprimé leur volonté de poursuivre leurs efforts pour diversifier leur main-d’œuvre, compte tenu des bénéfices que ces programmes leur procuraient.
Le conseil d’administration de Costco a ainsi réagi à une proposition d’actionnaires déposée par un groupe de réflexion aux tendances traditionalistes. Elle demandait que l’entreprise informe les actionnaires sur tout risque engendré par leur politique EDI sur leur rentabilité. Se portant à la défense de leurs orientations en matière de EDI, les administrateurs ont répliqué que ces programmes augmentaient les capacités de l’entreprise à attirer et retenir des employés pouvant contribuer à son succès.
Une proposition d’actionnaire déposée auprès de la société Apple a reçu une réponse allant dans le même sens. Cette dernière s’est engagée à créer une culture organisationnelle où chaque personne peut contribuer du mieux qu’elle peut à l’organisation tout en soulignant, vu la sensibilité actuelle du dossier, que certains ajustements pourraient être apportés.
Les programmes DEI demeurent essentiels
Nous croyons que les programmes DEI augmentent considérablement les chances d’atteindre l’excellence, malgré que certaines études indiquent que leur mise sur pied n’ait pas permis d’atteindre les objectifs poursuivis, voire que ces programmes les ont desservis.
Pour nous, ces initiatives contribuent à créer une société plus équitable et juste où chacun peut s’épanouir, indépendamment de son sexe, de son origine ethnique, de son orientation sexuelle, de sa religion ou de ses défis physiques. On peut penser que cet argument a pu faire l’objet de considération par le juge fédéral américain qui a émis récemment une injonction temporaire bloquant le décret exécutif présidentiel.
Il est crucial que les organisations qui se sont déjà engagées à offrir un accès équitable et non biaisé aux promotions restent sur leur lancée et continuent de promouvoir l’excellence sans compromettre leurs valeurs EDI. Elles inspireront ainsi d’autres entreprises à poursuivre cette notion d’excellence inclusive. Notre engagement collectif envers les programmes DEI est essentiel pour favoriser un lieu de travail inclusif et équitable.
Louise Champoux-Paillé, Cadre en exercice, John Molson School of Business, Concordia University and Anne-Marie Croteau, Dean, John Molson School of Business, Concordia University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.