Trois diplômés du premier cycle de l’Université Concordia rendent compte de leurs recherches dans un article paru dans une revue à comité de lecture sur l’histoire orale
C’est un intérêt pour la mémoire qui a attiré Felipe Lalinde Lopera vers le cours d’histoire publique HIST 387 : Telling Stories (« raconter des histoires ») de Steven High à l’Université Concordia. Le cours de premier cycle est consacré à l’adoption d’une approche critique à l’égard des récits d’« Archives vivantes » d’exilés rwandais et du génocide.
« De quoi nous souvenons-nous, et pourquoi? Comment recueillons-nous des connaissances à propos de la mémoire? L’histoire orale est une façon intéressante de se pencher sur ces questions », avance Felipe Lalinde Lopera.
C’est ainsi que ce qui a commencé comme un projet de cours a finalement mené à une publication dans la plus ancienne revue à l’échelle mondiale destinée aux spécialistes de l’histoire orale, Oral History.
Avec l’aide du Pr High, Felipe Lalinde Lopera et ses deux camarades Hussain Almahr et Elizabeth Tasong ont rédigé l’article « The pedagogy and practice of listening to Rwandan exiles and genocide survivors » pendant leurs études de premier cycle et ont réussi à le faire publier dans le numéro du printemps 2022 de la revue. Les trois étudiants ont obtenu leur diplôme en 2020.
Dans l’article, ils abordent la valeur de ce qu’ils ont appris dans le cours : l’écoute soutenue lors d’entrevues menées à propos de l’histoire, de la culture, des déplacements forcés et de l’intégration.
Les jeunes auteurs de l’article se réjouissent de la publication de leur travail, mais ils en tirent aussi une leçon d’humilité.
« Une occasion de faire de l’introspection, de me sensibiliser et de mieux me comprendre »
Steven High est professeur d’histoire à la Faculté des arts et des sciences. Son cours Telling Stories (« raconter des histoires ») est axé sur la participation en classe et la recherche qualitative privilégiant le matériel brut plutôt que les manuels scolaires. Sa formule atypique propose un regard inédit sur la vie des personnes interrogées, mais également sur celle des personnes qui écoutent.
Au début, Felipe Lalinde Lopera appréhendait d’écouter des récits violents. « Avec du recul, être confronté aux visions des autres peut être quelque chose de beau. Nous avons appris comment appliquer notre point de vue à ces récits de façon éthique. »
Dans l’article, M. Lopera décrit l’incidence qu’ont eue l’histoire et les expériences de sa famille sur sa façon d’assimiler les entrevues.
« Écouter les “Archives vivantes” m’a permis de faire de l’introspection, de me sensibiliser et de mieux me comprendre. » Les parents de M. Lopera sont des réfugiés colombiens qui ont été forcés de fuir au Canada en raison de graves menaces.
« Notre bagage personnel exerce une incidence sur ce que nous écoutons, ce que nous entendons et les récits qui nous touchent le plus, explique-t-il. La diversité des idées au sein de nos discussions – toutes fondées sur une seule série de documents – témoigne des différentes façons dont nous pouvons voir les choses et les mettre en application. »
Voir son nom dans la liste des coauteurs de l’article publié était emballant, ajoute-t-il. « Dans les disciplines des sciences sociales, la plupart des contenus de cours se fondent sur ce genre d’articles. J’en lirai davantage maintenant que je comprends tout le processus. »
« Nous devons accepter la complexité et résister à l’approche descendante pour comprendre l’histoire. »
De la même façon, Hussain Almahr décrit dans l’article l’adoption de plusieurs points de vue pour mieux comprendre l’histoire. « Une approche axée sur la communauté, qui mise sur les expériences des gens plutôt que sur un récit officiel, nous permet d’approfondir notre compréhension de la meilleure façon qui soit. »
« Cette démarche permet aux sujets des récits de devenir les principaux collaborateurs de recherche, indique M. Almahr. Elle trouve une grande pertinence lorsque nous travaillons avec les récits de personnes marginalisées, en dehors de l’histoire courante. »
Coécrire cet article et travailler avec les récits de personnes ayant survécu au génocide a constitué une leçon d’humilité pour les trois auteurs. Ils étaient nerveux lorsque des membres de la communauté rwandaise sont venus écouter les discussions du cours et témoigner en personne.
« J’étais soulagé de voir à quel point ils étaient enthousiastes et jugeaient pertinente notre contribution aux archives. »
Tenter de comprendre les événements historiques et les récits des gens s’avère complexe. Aux yeux d’Hussain Almahr, il est important de reconnaître que le milieu universitaire n’a pas toujours adopté les meilleures approches pour relater l’histoire.
« Entreprendre le processus de recherche et d’écriture pour cet article m’a rappelé que nous devons accepter la complexité et ne pas nous contenter d’une approche descendante qui simplifie le monde pour comprendre l’histoire. »
« Les étudiants du premier cycle sont capables d’effectuer d’excellentes recherches évaluées par les pairs. »
Pour Steven High, les étudiantes et étudiants de premier cycle qui ont des idées inédites ne devraient pas attendre pour faire publier leur travail. « Ils sont certainement capables de mener d’excellents travaux de recherche évalués par les pairs. Or, parfois, nous ne leur accordons pas suffisamment de mérite ou nous ne leur permettons pas de le faire. »
Historien oral et public reconnu, le Pr High a consacré la majeure partie de sa carrière à travailler sur les témoignages de personnes ayant survécu à la violence de masse. En tant que membre fondateur du Centre d’histoire orale et de récits numérisés (CHORN) de Concordia, il a joué un rôle essentiel dans le lancement des « Archives vivantes ».
« Écouter des récits comme ceux-ci est une expérience difficile, mais également enrichissante et multidimensionnelle », commente-t-il.
« Dans le monde où nous vivons, les gens s’expriment sans se préoccuper d’établir un dialogue avec leurs interlocuteurs. Nous devons nous arrêter, écouter et reconnaître que nos points de vue individuels sont probablement différents de la façon dont les autres voient les choses. »
Visitez le Centre d’histoire orale et de récits numérisés pour en savoir plus.