Saliha Béroual (1954-2023) : « Elle offrait un petit extra qui faisait d’elle une pédagogue hors du commun »
Affable, pétillante, généreuse dans ses relations avec les autres, compétente et enthousiaste, dévouée à ses étudiant·e·s, grande pédagogue, tels sont les mots qui reviennent quand celles et ceux qui ont eu la chance de la rencontrer évoquent le souvenir de Saliha Béroual.
Saliha Béroual s’est éteinte dans la nuit du samedi 29 juillet 2023. Sa disparition subite a mis en émoi tous ses collègues et étudiant·e·s au Département d’études françaises, où elle enseignait depuis 22 ans. Elle avait le cœur fragile, un cœur que le départ de l’Algérie avait déchiré, disait-elle. Mais c’est un cancer diagnostiqué à peine huit semaines plus tôt qui l’a emportée.
Saliha Béroual avait commencé sa carrière comme maître-assistante à l’Université de Batna en Algérie, où elle donnait des cours de linguistique et de littérature française. Mais elle avait dû quitter l’Algérie pour la France dans les années 1990, accompagnée de son mari et de ses trois jeunes enfants au cours de ce que les historiens appellent aujourd’hui La décennie noire, – cette guerre civile qui a déchiré le pays pendant dix ans. Elle sera chargée de cours en littérature à l’Université de Grenoble avant de s’installer au Québec. Maïr Verthuy, première Présidente de l’Institut Simone de Beauvoir, se souvient de cette arrivée : « Dès leur arrivée, Saliha et les siens ont laissé leur empreinte sur la vie de Montréal. Leur ouverture sur le monde, leur désir de se faire une place dans leur nouveau milieu, leur ont ouvert toutes les portes; nos deux familles, la sienne et la mienne, se sont aussi liées d’amitié. Je garde un souvenir ému de Saliha en train le soir de me faire connaître divers lieux culturels évoquant la vie du Maghreb, avançant toujours à pied comme si elle avait toujours connu cette ville. »
Titulaire d’une maîtrise en didactique du français langue seconde, Saliha Béroual est embauchée comme professeure à temps partiel au Département d’études françaises en 2001 pendant qu’elle prépare une thèse de doctorat intitulée Langue et littérature en atelier d’écriture pour le FSL en Algérie.
Comme l’explique Lucie Lequin, alors directrice du Département d’études françaises : « Son parcours académique a tout de suite retenu l’attention du comité d’embauche des chargés de cours ».
En effet, Saliha Béroual avait fait de l’amour de la langue française et de sa transmission une vraie vocation. Djaouida Hamdani, ancienne collègue du Département d’études françaises aujourd’hui directrice de programme à l’École de langues de l’UQAM, évoque son amour de la langue française : « Ton amour de la langue t’amenait encore et encore à te questionner sur ses subtilités. Ton amour de la littérature et de l’écriture te donnait une sensibilité créatrice, étant poétesse toi-même ».
Et ses étudiant·e·s, qui l’avaient bien compris, lui étaient fidèles, comme le rapporte Svetla Kamenova, coordinatrice pédagogique des cours de langue de niveau 200 au Département d’études françaises : « Plusieurs étudiant·e·s qui avaient suivi un cours de langue avec Saliha me disaient chercher son nom dans le programme pour avoir d’autres cours avec elle ». Ses étudiant·e·s l’adoraient, car la plupart du temps, elle dépassait leurs attentes. Par exemple, elle montait des pièces de théâtre ou des extraits pour que les étudiant·e·s sortent des manuels ou du laboratoire et vivent ainsi une expérience de vie nouvelle en français. Elle croyait fermement à la francophonie; dans ses cours, chaque fois que c’était possible, elle en parlait de façon comparative, ce qui stimulait fortement étudiantes et étudiants. Bref, elle offrait toujours un petit extra qui faisait d’elle une pédagogue hors du commun. Ce petit extra était l’ingrédient nécessaire pour engager les étudiant·e·s dans un apprentissage dynamique, voire festif, de la langue française.
« Ton bonheur d’enseigner communiquait le plaisir d’apprendre à tes étudiantes et étudiants, venus d’horizons divers et pour qui le français est souvent la 3e langue. Tu me disais que chacun de tes cours était vécu comme une nouvelle rencontre avec ta classe, sans place pour la routine et sans jamais t’économiser. Dans une approche qui se voulait exploration, découverte et partage, ces cours portaient sur le fonctionnement de la langue et ses régularités grammaticales, sur des activités de lecture et d’écriture, avec toi pour guide enthousiaste et inspirant », se souvient Djaouida Hamdani.
Membre très active, à l’apport inestimable au sein du département, elle se portait volontaire en prenant en charge plusieurs responsabilités. En plus de l’enseignement, à différents moments, elle a ainsi siégé à des comités d’embauche et au comité de langue, et elle a représenté les chargés de cours aux assemblées départementales. Jamais elle n’a compté ses heures. Saliha Béroual était encore représentante des professeurs à temps partiel aux assemblées départementales au moment de sa disparition.
Plus avant, Saliha Béroual se tenait toujours informée des dernières avancées pédagogiques dans le domaine de l’enseignement des langues secondes en participant régulièrement aux événements, conférences ou journées d’étude consacrés à la discipline.
Saliha était une passeuse de culture. Non seulement a-t-elle très tôt fait sienne la culture littéraire québécoise, qu’elle partageait avec ses étudiant·e·s, mais elle était par ailleurs une ambassadrice de la culture du Maghreb et de l’Algérie en particulier.
« Lorsque la grande écrivaine et cinéaste Asia Djebar, titulaire d’un doctorat honoris causa de l’Université Concordia et membre de l’Académie française, est décédée, Saliha, qui a toujours été passionnée par la littérature et le parcours de l’académicienne, n’a pas hésité un instant. Elle lui a rendu hommage en développant des activités avec ses étudiant·e·s. D’ailleurs, diverses associations culturelles québécoises ont emboîté le pas en créant une Journée Asia-Djebar qui se tient chaque année au mois de juin. Saliha en a présidé la seconde édition », confirme Maïr Verthuy.
Mais ce sont ses qualités humaines, sa fidélité et sa loyauté à ses amis qui ont fait d’elle une femme inoubliable. Maïr Verthuy a été tout particulièrement ébranlée par cette disparition. « Et comment oublier sa participation aux funérailles de mon époux, où elle a exprimé avec des mots très émouvants l’importance de la traversée des cultures? »
Les ami·e·s de Saliha se souviennent surtout de sa voix magnifique et de son don du chant. Elle adorait chanter, des classiques de la musique algérienne et orientale, mais aussi des chansons de Brel, Ferrat ou Aznavour. L’écouter faisait vibrer les cœurs et les âmes. C’était là le plus sincère des cadeaux.
Je me souviendrai toujours du sourire de Saliha
De la douceur et de la profondeur de sa présence
De l'intensité de vie que je voyais bouillonner en elle.
De sa jeunesse éternelle, de sa beauté, de son charme
De la poésie de son âme.
Saliha, pour moi, c'est la femme sage et sauvage
Belle, vivante et pour toujours pétillante.
Que ton envolée soit puissante
Que ton envolée soit ta liberté.
Ajoute Bineka Lissouba, autrice, poète et professeure à temps partiel au Département d’études françaises
Saliha laisse dans le deuil son époux Kamel, ses enfants Ikram, Yacine, Mouloud, et ses petits-enfants ainsi que ses ami·-e·s et ses collègues.
Le Département d’études françaises, ses collègues et ami·e·s s’associent à la douleur de la famille et lui présentent leurs très sincères condoléances.
Le Département d’études françaises de l’Université Concordia souhaiterait créer le Prix d’excellence Saliha-Béroual qui sera remis chaque année à une personne étudiante inscrite dans les programmes de Français-Langue seconde et qui se démarque par ses résultats académiques. Les fonds recueillis serviront à doter ce prix.