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L’Université Concordia accueille la première table ronde sur la traduction pragmatique des langues autochtones au Québec

Les panélistes ont abordé l’importance du public visé, la consultation des aînés et la revitalisation des mots anciens
9 août 2024
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Groupe de 5 personnes assises à une table avec une nappe noire et des microphones à l'avant d'un auditorium. « Il est essentiel de donner la parole aux praticiennes et praticiens de la traduction », affirme René Lemieux.

L’Université Concordia a récemment organisé une table ronde sur la traduction pragmatique des langues autochtones. Il s’agissait du premier événement du genre, où des personnes de diverses nations étaient rassemblées pour discuter de questions liées à la traduction.

« De tels événements sont courants pour favoriser l’enseignement des langues, mais pas pour la pratique de la traduction, qui reste quelque peu taboue. La plupart des traducteurs ne sont pas des professionnels et n’ont jamais reçu de formation officielle dans ce domaine », souligne René Lemieux, professeur adjoint au Département d’études françaises. La discussion était organisée par le Pr Lemieux et d’autres membres de l’Observatoire de la traduction autochtone.

« Cela fait aussi partie de la nature des traducteurs de rester dans l’ombre. »

La table ronde s’inscrivait dans le cadre du colloque tenu à l’occasion du 35e anniversaire de la revue TTR : Traduction, Terminologie, Rédaction, intitulé Redéfinir la traduction? Fluctuations historiques, nouvelles pratiques et épistémologies en devenir, en collaboration avec l’Association canadienne de traductologie.

Le colloque a mis l’accent sur la traduction pragmatique (par opposition à la traduction littéraire) en raison de sa capacité à traduire des concepts peu connus des communautés particulières où sont traduits les textes, ce qui oblige les traducteurs à innover sur le plan lexical, en créant parfois des néologismes. La traduction pragmatique se heurte à un problème singulier : l’anonymat des traducteurs, qui complique l’étude de l’origine des traductions et le contact avec les traducteurs eux-mêmes. Cette situation pose donc un défi méthodologique à la recherche.

Communauté et diversité linguistique

Parmi les panélistes figuraient Hélène St-Onge, technolinguiste, et Louise Canapé. Toutes deux travaillent sur le Lexique spécialisé des études collégiales en français-innu créé pour le Cégep de Baie-Comeau. Elles travaillent également au Conseil des Innus de Pessamit et sont traductrices de l’innu-aimun.

Hélène St-Onge souligne l’importance de prendre en compte le public visé par la traduction, y compris les préférences dialectales et l’objectif de la traduction : « Une publication destinée à tous les Innus a recours à une orthographe standardisée. Une traduction destinée à une communauté particulière, comme Pessamit, utilise des mots propres à cette communauté, avec une orthographe plus proche de leur prononciation, qu’on appelle le lelueun », précise-t-elle.

Louise Canapé attire l’attention sur le processus de création des mots nouveaux : « Nous commençons par demander aux auditeurs des radios communautaires de suggérer des traductions possibles en innu-aimun d’un mot français », explique-t-elle.

« Nous présentons ensuite cinq options sur Facebook, recueillons les réactions et tenons un vote. Le choix final est confirmé par les aînés de la communauté. La participation des aînés au processus de traduction est cruciale; ils peuvent proposer des solutions de rechange si les traductions suggérées ne sont pas bien comprises. »

Revitalisation de mots anciens

Philippe Charland, professeur de langue abénaquise au Collège Kiuna et dans d’autres établissements, utilise pour ses traductions de vieux manuscrits de dictionnaires et de lexiques abénakis, dont le plus ancien connu, celui du missionnaire jésuite Sébastien Rasles, datant de 1691. Le projet Awikhiganisaskak de l’Université de Sherbrooke, auquel il participe, vise à transcrire ces manuscrits pour faciliter la recherche.

« Chaque missionnaire introduisait des orthographes différentes, explique-t-il. Il est donc essentiel de les reconnaître. La transcription de ces vieux manuscrits s’avère cruciale pour redonner vie aux mots anciens. »

Plaidoyer pour l’enseignement des langues autochtones

Frances Mowatt, de la nation Abitibi8inni, est une traductrice en anicinapemo8in qui s’est récemment vu décerner un doctorat honorifique de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Elle milite pour l’enseignement des langues autochtones aux jeunes. Mme Mowatt se souvient de l’insistance de sa mère pour que ses enfants apprennent leur langue dès le plus jeune âge, tout en apprenant à parler le français. Sa mère a également contribué à transmettre la langue à son petit-fils. « Le fait de connaître l’anicinapemo8in m’a aidé à apprendre le français, dit-elle. Cela ne m’a jamais gênée. »

Exercice collaboratif

En guise de conclusion, les participants à la table ronde ont été invités à traduire le terme « Association canadienne de traductologie ».

Philippe Charland a proposé Kanadi8ïm8wkaw8gan wji agakimzimek azwawakal8dw8ganal (littéralement : « le regroupement canadien de ceux qui étudient le travail d’échange des langues »). Frances Mowatt a suggéré Kanada inotamake8innik ka ok8api8atc (littéralement : « les traducteurs du Canada s’assoient en groupe »).

Louise Canapé et Hélène St-Onge ont offert Mamu ka atusseshtakau e ashushtakannit ute Kanata assit (littéralement : « ensemble, ceux qui travaillent à traduire, ici sur la terre du Canada »).

René Lemieux souligne l’importance générale de telles initiatives : « Il est essentiel de donner la parole aux praticiennes et praticiens de la traduction. De nombreux traducteurs ont appris leur métier sur le tas, sans soutien institutionnel. En ce sens, le rôle de l’université évolue : il ne s’agit pas seulement d’émettre des opinions sur des réalités extérieures à l’université, mais aussi de créer des espaces pour que ce genre d’événement puisse avoir lieu. »

L’enregistrement de la première table ronde peut servir de ressource pédagogique en jetant les bases d’une formation spécialisée dans la traduction des langues autochtones.

Apprenez-en davantage sur l’Observatoire de la traduction autochtone et sur le travail porteur de changement du Bureau des directions autochtones à l’Université Concordia.



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