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À quand un remboursement public des traitements recommandés contre l’insomnie?

November 22, 2024
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By Thien Thanh Dang-Vu, Rébecca Robillard, Charles M. Morin et Nadia Gosselin

Source: Media Relations

Cet article a été publié dans Le Devoir.

Nous écrivons aujourd’hui à la lueur de la publication du Consortium canadien de recherche sur le sommeil sur la prévalence élevée de l’insomnie à travers le pays, atteignant près d’un Canadien sur six. Cette étude a mis en lumière l’usage répandu non seulement des médicaments prescrits, mais aussi de l’alcool et du cannabis comme aides à dormir. Le reportage de Radio-Canada Cauchemar sur ordonnance avait d’ailleurs exposé les dangers des benzodiazépines, souvent prescrits pour le sommeil, sur la santé. Avant le recours aux médicaments, la première ligne d’intervention recommandée pour l’insomnie est la thérapie cognitivo-comportementale pour l’insomnie (TCC-I). Malgré trois décennies de recherche ayant établi l’efficacité de ce traitement et le consensus des experts en sommeil, ce traitement n’est toujours pas disponible pour la grande majorité des Canadiens aux prises avec l’insomnie.

En tant que chercheurs et cliniciens spécialisés en médecine du sommeil, nous sommes préoccupés par le manque de remboursement public pour les traitements efficaces et sécuritaires contre l’insomnie.

Des effets réels sur le travail et la productivité

L’insomnie consiste en des difficultés à s’endormir ou rester endormi et est un trouble lorsqu’elle survient au moins trois nuits par semaine depuis au moins trois mois, avec de la fatigue ou d’autres effets durant la journée. Largement répandu, le trouble de l’insomnie (aussi appelé insomnie chronique) atteint 16,3 % de la population, avec un lourd tribut sur la santé physique et mentale. Les effets sur le travail et la productivité sont également bien réels, et le fardeau économique pour la société se chiffre à 1,9 milliard de dollars par année au Canada (Chaput, 2023).

En dépit de ces effets considérables, l’accès à un traitement efficace et sécuritaire demeure un défi majeur, en grande partie en raison de l’absence de remboursement public des traitements recommandés. L’une des principales conséquences de ce besoin non comblé est le recours excessif aux traitements non recommandés tels que les sédatifs pris hors indication avec ou sans prescription, ainsi que ceux dont les indications sont limitées telles que les benzodiazépines. En effet, les risques associés aux benzodiazépines sont nombreux, incluant la dépendance, la détérioration cognitive, les accidents de la route, les chutes et les fractures. C’est la raison pour laquelle la Société américaine de gériatrie ne recommande pas leur utilisation chez les personnes âgées, quelle que soit la durée de traitement, et que leur utilisation chronique est déconseillée à tout âge.

Cependant, les benzodiazépines demeurent les seules options remboursées par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), ce qui est incompatible avec le besoin fréquent de traitement à long terme de l’insomnie. À noter qu’au Québec, le traitement de l’apnée du sommeil, qui est souvent associée à l’insomnie, n’est pas non plus couvert par le régime public, constituant un préjudice majeur additionnel aux personnes souffrant de troubles du sommeil.

Et qu’en est-il de l’insomnie qui affecte plus de 30 % des enfants et des adolescents au Canada ? Son effet sur la performance scolaire et sur la santé physique et mentale est désastreux, sans compter ses conséquences sur la santé psychosociale de toute la famille (Corkum, 2019). Or, Santé Canada ne reconnaît aucune intervention pharmacologique pour le traitement de l’insomnie pédiatrique, et l’accès aux approches comportementales est quasi inexistant.

Protéger le public

Le Collège des médecins du Québec lançait récemment un programme de surveillance de l’exercice pour un usage sécuritaire des benzodiazépines. Le programme vise à protéger le public par une surveillance accrue des prescripteurs de benzodiazépines. Rappelons qu’il n’y a aucune solution de rechange aux benzodiazépines sur la liste des médicaments couverts par la RAMQ pour les patients qui souffrent d’insomnie chronique. De telles solutions existent pourtant, elles sont recommandées par les associations professionnelles et elles sont accessibles par l’entremise des régimes privés.

Il s’agit d’abord de la thérapie cognitivo-comportementale pour insomnie (TCC-I), qui constitue le traitement de choix en insomnie. Constituée de stratégies pour changer les habitudes et les perceptions par rapport au sommeil, cette intervention améliore le sommeil de plus de la moitié des personnes qui y accèdent. Lorsque la TCC-I n’est pas suffisante, il existe des options pharmacologiques ayant un meilleur profil d’innocuité que les benzodiazépines et qui peuvent dès lors être prescrites dans le traitement chronique de l’insomnie.

Toutefois, sans remboursement adéquat de ces interventions fondées sur des données probantes, les médecins se retrouvent parfois obligés de prescrire des benzodiazépines en raison du manque d’accès à la TCC-I et de l’absence d’options pharmacologiques sécuritaires couvertes par le régime public.

En tant que défenseurs de la santé des patients, nous devons exiger des mesures pour assurer un accès équitable à des traitements de l’insomnie fondés sur des données probantes pour toutes les personnes, quel que soit leur statut socioéconomique. Par conséquent, nous exhortons nos décideurs à donner la priorité à l’expansion des programmes publics de remboursement afin d’inclure des options complètes de traitement de l’insomnie, incluant la TCC-I et les traitements pharmacologiques recommandés pour l’insomnie chronique. En investissant dans des approches efficaces et sécuritaires, nous pouvons permettre aux personnes souffrant d’insomnie de reprendre le contrôle de leur sommeil et favoriser ainsi un système de santé qui privilégie le bien-être à long terme.

Le moment est venu d’agir. Travaillons ensemble pour offrir enfin des soins optimaux pour l’insomnie.




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