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Jesse Jackson et le combat populiste pour la justice économique et raciale

Par Steven High

Source: Media Relations

Cet article a été publié dans Le Devoir

À la récente convention du Parti démocrate américain, les délégués ont bruyamment manifesté leur enthousiasme lorsque Jesse Jackson, ancien leader du mouvement des droits civiques, est apparu sur la scène en fauteuil roulant pour saluer les délégués. Jesse Jackson a été le premier Afro-Américain à se lancer sérieusement dans la course à l’investiture du parti en vue de l’élection présidentielle.

Si sa première tentative, en 1984, a captivé l’imagination des électeurs noirs, sa seconde, quatre ans plus tard, a constitué une percée historique en mobilisant les travailleurs de toutes les races pour lutter contre la violence économique du capitalisme mondialisé. Comme l’écrivait à l’époque un journaliste, « écouter M. Jackson à la tribune, c’est recevoir une dose à haut indice d’octane de populisme économique ».

Son message différait de la rhétorique anti-importations du seul autre candidat progressiste, le représentant du Missouri Richard Gephardt. Jesse Jackson dirigeait plutôt sa colère vers les entreprises américaines qui délocalisaient les emplois américains, et mettait en garde ses auditoires contre l’attrait chauvin du nationalisme économique. « À quel point la concurrence étrangère est-elle vraiment étrangère ? » demandait-il. C’était une bonne question.

« Nos emplois ne nous sont pas volés par les Coréens du Sud et les Taïwanais », proclamait-il lors de rassemblements tenus un peu partout au pays. « Ils ont été déplacés en Corée du Sud et à Taïwan par des entreprises américaines qui en retirent des avantages fiscaux. »

Devant une foule de 10 000 syndiqués de la région de la baie de San Francisco, en Californie, Jesse Jackson déclare : « Il y a 30 ans, nous manifestions pour mettre fin à la violence raciale. Aujourd’hui, nous marchons pour mettre fin à la violence économique. Nous luttons pour les droits des travailleurs. »

Son message économique trouve un écho auprès de nombreux électeurs blancs de la classe ouvrière. L’analyse qu’en fait un métallurgiste blanc de Baltimore, Leonard Shindel, est citée ainsi par un journaliste : « Ce qu’il dit de différent de tous les autres démocrates, c’est que nous devons bâtir un mouvement contre la violence économique, comme le mouvement des droits civiques des années 1960. »

Jesse Jackson réussit bien aux premières élections primaires tenues dans les différents États. Il obtient 26 % dans le Vermont, l’un des États les plus blancs de l’Union, arrivant en deuxième position derrière le gouverneur du Massachusetts, Michael S. Dukakis. Il se positionne ensuite avantageusement lors du « super mardi », au cours duquel seize États du Sud votent. Il en remporte plusieurs, dont la Caroline du Sud, où il recueille 54 % des voix, soit plus du double des trois candidats suivants réunis.

Il se joint aux travailleurs de l’automobile à Flint, aux conditionneurs de viande à Milwaukee, aux aides-soignants des hôpitaux à Philadelphie et aux pompiers à Saint-Louis. À Mobile, en Alabama, il exhorte les travailleurs de remplacement noirs à respecter un piquet de grève. À Kenosha, dans le Wisconsin, la section 72 de l’UAW, un syndicat local très majoritairement blanc, lui accorde son soutien, défiant ainsi sa direction nationale. Interrogé sur les raisons de cette décision, le président de la section locale déclare : « Jesse Jackson est peut-être Noir, mais Lee Iacocca [le p.-d.g. de Chrysler] est Blanc et il nous prive de nos emplois. »

La victoire décisive de Jesse Jackson aux dépens de Michael Dukakis dans le Michigan est le point culminant de sa campagne.

Pendant un moment, on a l’impression qu’une nouvelle page d’histoire est en train de s’écrire. Jesse Jackson sillonne l’État du Wisconsin, où la lutte est serrée, pour s’adresser aux électeurs de la classe ouvrière. À un rassemblement dans la ville industrielle de Sheboygan, il attire 1500 personnes et obtient une ovation debout à trois reprises. L’assemblée était une véritable « mer de visages blancs », rapportent les journaux. « À l’arrivée de Jackson, presque tout le monde s’est levé d’un bond et a applaudi. Les gens sont montés sur des chaises. Ils ont tendu leurs bébés pour que le candidat les prenne dans ses bras. Ils ont également tendu les mains et ont sauté de joie lorsqu’il les a serrées. » Arthur Fuller, un démocrate blanc partisan de Ronald Reagan, promet de voter pour Jackson cette fois-ci : « S’il est élu, il pensera aux petites gens, dont nous faisons partie. »

En fin de compte, c’est l’État de New York qui brise la candidature contestataire de Jesse Jackson. Ses opinions propalestiniennes n’ont pas l’heur de plaire à bien des membres de l’importante communauté juive de l’État. Son message économique populiste ne trouve pas non plus d’écho auprès de nombreux électeurs blancs libéraux sur le plan social, mais néolibéraux sur le plan économique, ni auprès de l’élite du parti. Le Washington Post avertit que « ce que Jackson offre est un genre puissant et dangereusement séduisant de populisme et de nationalisme économiques ». Le Boston Globe va jusqu’à dire qu’on ne devrait même pas envisager que Jackson soit choisi comme candidat à la vice-présidence du parti, car il ne contribuerait pas à équilibrer la liste — c’est-à-dire à apporter un complément à la candidature présidentielle.

Le technocrate Michael Dukakis, terne candidat qui s’était fait le champion de l’allocation conditionnelle et du recyclage de la main-d’oeuvre, remporte l’investiture du parti, mais perd à plate couture aux élections présidentielles.

A posteriori, ce qui ressort de la quête de Jesse Jackson pour devenir le premier président noir des États-Unis, c’est son message populiste fondé sur la justice économique et raciale. Il nous a montré que les électeurs blancs de la classe ouvrière des États de la « Rust Belt » — ceux-là mêmes qui sont aujourd’hui au coeur du scrutin de novembre prochain — sont prêts à voter pour un candidat racisé si son message les rejoint.




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