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Attention aux fausses bonnes idées en riposte aux tarifs douaniers
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Comme l’a fait remarquer — non sans ironie — l’ancien premier ministre Jean Chrétien lors du congrès d’investiture du Parti libéral du Canada dimanche dernier, Donald Trump mériterait peut-être l’Ordre du Canada pour avoir réussi, à lui seul, à unifier notre pays. En effet, les contre-mesures ingénieuses proposées par le gouvernement canadien en réponse à l’attaque absurde du président américain contre le meilleur allié de son pays ont récolté un appui quasi unanime d’un bout à l’autre du pays. Entreprises et consommateurs ont exprimé leur solidarité à un niveau de décibels presque assourdissant, du jamais vu dans ce pays.
S’ils sont appliqués judicieusement, les droits de douane réciproques, les boycottages, l’élimination des barrières commerciales à l’intérieur du Canada et les initiatives patriotiques d’achat de produits canadiens ne manqueront pas d’attirer l’attention au sud de la frontière. En outre, si ces initiatives s’accompagnent d’autres stratégies, comme la promotion des produits fabriqués au Canada, l’encouragement de la collaboration avec d’autres entreprises canadiennes et la diversification des sources d’approvisionnement et de la clientèle, les entreprises canadiennes pourront atténuer, du moins dans une certaine mesure, les répercussions fâcheuses découlant des efforts malavisés du président américain.
Toutefois, je conseillerais aux petites entreprises et aux entrepreneurs canadiens de résister à l’envie de recourir, au nom de la fierté patriotique, à une contre-mesure qui suscite de plus en plus de discussions : le boycottage des plateformes de publicité en ligne comme Facebook et Google. Une telle riposte aurait des répercussions économiques considérables.
Facebook et Google sont devenus des outils indispensables et rentables qui permettent aux petites entreprises de rejoindre un public élargi. À une époque pas si lointaine où n’existaient que les médias publicitaires traditionnels, le coût de la publicité imprimée et radiodiffusée était prohibitif pour les entreprises en démarrage et les petites entreprises. Depuis l’avènement du marketing par médias sociaux, les petites entreprises n’ont plus jamais songé à revenir en arrière. Les nouvelles plateformes offrent des options de publicité ciblée qui ont permis aux petites entreprises de prendre leur envol, et cet avantage revêt encore plus d’importance aujourd’hui.
Par exemple, Facebook renferme une mine de renseignements permettant aux entreprises de cibler de façon très précise leur clientèle en fonction des données démographiques, des champs d’intérêt et des comportements, de sorte que les publicités parviennent au public visé. En outre, le moteur de recherche Google représente un outil privilégié pour les entreprises — même les plus petites — qui peuvent ainsi accéder à un marché diversifié (à la fois vaste et précis), sans contrainte géographique. Google a aussi la capacité de repérer les clients qui recherchent des produits similaires à ceux que proposent les petits annonceurs et de leur apporter ces clients.

Quant à Facebook, il permet aux entreprises d’interagir avec des clients potentiels en leur fournissant des contenus personnalisés et en cultivant des relations fructueuses à long terme tout en réduisant au minimum le coût de l’engagement. La fidélité à la marque se bâtit grâce à l’engagement des clients et au renforcement de l’esprit de communauté. Avant l’apparition d’Internet, les taux de conversion et la rentabilité de l’investissement marketing étaient tous deux nettement inférieurs.
En clair, le marketing par médias sociaux a permis aux petites entreprises de s’asseoir à la table des grands : elles peuvent désormais cerner et rejoindre des publics cibles bien définis et précis, et ainsi utiliser leur budget marketing — souvent limité — de manière efficace et rentable. Par ailleurs, grâce au couvert d’Internet, les petites et grandes entreprises deviennent indifférenciables, et la notion même de taille d’entreprise est donc en quelque sorte dépassée.
Que se passera-t-il donc si les petites entreprises canadiennes délaissent ces plateformes particulièrement efficaces et accessibles ?
1. La visibilité des petites entreprises s’en trouvera diminuée, voire réduite à néant, car elles ne seront pas là où se trouvent leurs clients.
2. Les petites entreprises perdront du terrain par rapport à leurs concurrents. Toute entreprise, grande ou petite, cherche à acquérir des parts de marché. Le vide sera rapidement comblé par un puissant rival, un peu comme un usager pressé qui s’empare aussitôt d’un siège inoccupé dans une voiture du métro.
3. La capacité des petites entreprises à générer et à convertir des pistes de vente sera fortement réduite.
4. Les petites entreprises ne seront plus en mesure de rester engagées auprès de leurs clients, ce qui réduira la « valeur économique » de ces derniers. Chaque vente sera un cas unique.
5. Les petites entreprises perdront des outils promotionnels rentables.
6. Les petites entreprises seront privées d’importants canaux de communication avec leurs partenaires de distribution.
7. Ce sont probablement les petites entreprises canadiennes, et non leurs homologues américaines, qui en subiront les contrecoups financiers.
Bien que le désir de protester contre les droits de douane américains soit tout à fait compréhensible, les petites entreprises canadiennes doivent réfléchir aux conséquences d’un boycottage des plateformes de publicité en ligne comme Facebook et Google, car cela pourrait malencontreusement nuire à leurs propres activités. Les entreprises devraient plutôt privilégier des stratégies qui renforcent la solidarité au sein du Canada, améliorent la collaboration et favorisent la diversité des marchés. Elles pourront ainsi relever les défis que pose le gouvernement Trump, quels qu’ils soient, sans compromettre leur croissance, leur viabilité et leur stabilité.