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Il est temps de renverser la marche de la désindustrialisation du Canada

4 février 2025
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Par Steven High

Source: Media Relations

Cet articlé a été publié dans Le Devoir

Si Doug Ford et les conservateurs de l’Ontario convoquent la population aux urnes ce mois-ci, c’est qu’une tempête économique se profile à l’horizon. Après tout, nous sommes à l’ère des phénomènes météorologiques extrêmes.

D’ores et déjà, le secteur privé canadien se prépare à transférer une grande partie de sa production aux États-Unis pour éviter les tarifs douaniers de 25 % que Donald Trump menace d’imposer aux produits canadiens. C’est bien sûr ce que veut Trump. Il répond aux attentes de ses partisans de la classe ouvrière, et c’est nous qui en payons le prix.

Au Canada, des centaines de milliers d’emplois seront perdus si le président met sa menace à exécution, et même dans le cas contraire, les disparitions d’emplois seront nombreuses.

L’objectif de Trump est de désindustrialiser le Canada, à moins bien sûr que nous acceptions de rejoindre les États-Unis en tant que 51e État. Il s’agit d’une guerre économique dans sa forme la plus cruelle. Comme l’affirme le président, les États-Unis n’ont pas besoin des Canadiens pour leur vendre des voitures ou d’autres produits manufacturés. Or, il est grand temps de renverser la marche de la désindustrialisation au Canada.

Le bouleversement qui nous attend rappelle le choc Nixon, mais en pire.

En août 1971, le président américain Richard Nixon avait décidé de bousculer le système monétaire mondial fondé sur des taux de change fixes et encouragé les multinationales américaines à rapatrier des emplois du secteur manufacturier. À cette fin, il avait imposé une surtaxe temporaire de 10 % sur tous les produits importés au pays, y compris ceux en provenance du Canada.

Le choc provoqué par Nixon menaçait l’économie canadienne, qui ne bénéficiait d’aucun traitement de faveur, alors que 85 % des exportations du pays étaient destinées aux États-Unis. Un éminent banquier de Toronto avait alors qualifié la surtaxe de « taxe digne d’une guerre nucléaire », qui menaçait la prospérité du Canada.

Une étude confidentielle réalisée à l’époque par le gouvernement fédéral prévoyait que 158 entreprises seraient contraintes de cesser leurs activités au cours des six premiers mois. Et 72 autres entreprises avaient signalé que la surtaxe de 10 % pourrait les obliger à délocaliser la totalité ou une partie de leurs activités aux États-Unis. Heureusement, les tarifs douaniers imposés au Canada ont rapidement été levés. Et ceux-ci s’élevaient seulement à 10 %. Aujourd’hui, Trump menace d’imposer une surtaxe de 25 %, et cette mesure ne sera probablement pas temporaire.

Dans mon nouveau livre intitulé The Left in Power. Bob Rae’s NDP and the Working Class (La gauche au pouvoir. Le NPD de Bob Rae et la classe ouvrière), j’évoque les défis à venir, non seulement pour l’Ontario, mais aussi pour l’ensemble du pays. Après la signature de l’accord de libre-échange avec les États-Unis en 1987, le Canada a traversé un douloureux processus de restructuration industrielle. L’économie de succursales du Canada, avec ses usines desservant le marché national, est soudainement devenue inutile. En conséquence, l’Ontario a vu 300 000 travailleuses et travailleurs de l’industrie manufacturière perdre leur emploi entre 1989 et 1992.

Après plus de 35 ans de libre-échange avec les États-Unis, le Canada est plus que jamais dépendant des États-Unis sur le plan économique.

Alors, que pouvons-nous faire ? Il faut évidemment diversifier nos exportations. À la droite du spectre politique, on décrétera la nécessité de réduire encore davantage l’impôt sur les sociétés, ainsi que les salaires, afin d’être concurrentiel. Des termes comme « climat des affaires » seront employés pour justifier un nouveau cycle d’austérité.

Or, cette approche est bien sûr une spirale descendante qui nous appauvrit. Et le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser. En effet, il n’y aurait pas autant de milliardaires aux États-Unis aujourd’hui si le président Ronald Reagan n’avait pas fait passer le taux d’imposition le plus élevé au pays de 70 % à 28 %.

Nous devons donc trouver une solution politique et économique.

Je ne prétends pas avoir les réponses, mais il n’y a pas si longtemps, le Pacte de l’automobile entre le Canada et les États-Unis exigeait que les constructeurs automobiles produisent au Canada autant de voitures et de camions qu’il s’en vendait ici. Ce type de garantie de production est parfaitement logique. Avec ses 40 millions d’habitants, le Canada constitue aujourd’hui un marché considérable. Si les entreprises américaines veulent vendre ici, elles doivent fabriquer ici. Compte tenu de notre expérience de la pandémie, le rapatriement de nos chaînes d’approvisionnement apparaît tout à fait judicieux.

Certes, la question des succursales pose toutes sortes de problèmes.

L’histoire nous apprend également que nous devons faire bien davantage pour que les conséquences économiques découlant des restructurations économiques soient réparties équitablement. Après l’avènement du libre-échange, les conservateurs et les libéraux fédéraux ont rendu l’accès à l’assurance-emploi beaucoup plus difficile en restreignant l’admissibilité et en forçant les gens à recourir à l’aide sociale. Ils ont même récupéré les indemnités de cessation d’emploi des travailleurs déplacés.

Les gouvernements ont essentiellement fait porter le poids de la crise économique à la classe ouvrière. Il n’est donc pas étonnant que tant de gens soient en colère. La montée de la droite populiste dans les régions désindustrialisées, comme on le voit dans les États de la Rust Belt (ou ceinture de rouille) aux États-Unis et dans les anciens bassins miniers en France, est un héritage de cet échec politique. Nous sommes les seuls responsables de cette situation.

Nous devons rompre ce cycle. Une véritable transition doit s’opérer dès maintenant, et non pas dans un avenir lointain.




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