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L’intégration continentale a une longue histoire, mais qu’en est-il aujourd’hui?
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
Donald Trump semble résolu à brandir le bâton des tarifs douaniers ruineux chaque fois qu’il veut obtenir quelque chose d’un ami ou d’un ennemi. Aucun pays, à l’exception du Mexique, n’est aussi vulnérable que nous sur le plan économique. Comment en sommes-nous arrivés là et que devions-nous faire maintenant ?
L’intégration économique continentale a une longue histoire, mais elle a pris différentes formes.
Le Canada s’est industrialisé grâce au nationalisme économique du premier ministre sir John A. Macdonald. Dans ses grandes lignes, la politique nationale mise de l’avant en 1878 repose sur la formation d’un marché national protégé, grâce à une immigration massive et à la construction d’un chemin de fer transcontinental reliant les collectivités éloignées du pays, entouré d’un solide mur tarifaire afin de permettre l’émergence d’entreprises nationales. La dépossession et le confinement des populations autochtones font également partie intégrante du processus.
Le mur tarifaire de John A. Macdonald finit par contraindre les entreprises américaines à bâtir des succursales au Canada. Ainsi, en 1970, les deux tiers des 100 principaux fabricants canadiens sont détenus par des étrangers. À cet égard, le Canada fait figure d’exception dans le nord industrialisé, car son taux d’investissement direct étranger se compare à celui de l’Argentine et du Sri Lanka plutôt qu’à celui des États-Unis ou du Royaume-Uni.
Inquiète d’être économiquement dépendante des États-Unis, une nouvelle génération de nationalistes soulève alors un certain nombre de préoccupations concernant l’économie de succursales. Elle fait valoir que les décisions importantes des entreprises sont presque toujours prises en dehors du pays et que les activités de conception et d’ingénierie des multinationales sont concentrées aux États-Unis. En fait, les filiales canadiennes sont pour la plupart exclues du marché de l’exportation. Elles sont donc plus petites et produisent une vaste gamme de produits pour le marché intérieur, au lieu de bénéficier d’économies d’échelle.

Or, malgré son inefficacité économique, l’économie de succursales n’a pas que des inconvénients. Elle offre des salaires conventionnels et une certaine sécurité d’emploi aux travailleurs d’usines diversifiées, et les employeurs peuvent difficilement déplacer la production au-delà des frontières. Les gouvernements peuvent également réglementer sans craindre d’effrayer les investisseurs étrangers. Les avantages de la croissance économique sont donc partagés dans une mesure sans précédent. C’est une des raisons pour lesquelles les décennies d’après-guerre constituent une ère de prospérité pour tant de gens au Canada.
Le secteur de l’automobile est exceptionnel dans la mesure où il est intégré très tôt grâce au Pacte de l’automobile conclu en 1965. Ainsi, les trois grands constructeurs automobiles peuvent rationaliser leur production et maximiser leur efficacité. Toutefois, le Canada réussit à obtenir la garantie qu’autant de voitures et de camions seront construits au pays qu’il s’y en vend.
Les politiques publiques sont importantes. Lorsque l’État doit intervenir pour renflouer Chrysler, alors en faillite, le Congrès américain exige que d’importantes concessions soient accordées aux syndicats. Le Canada, quant à lui, prend la décision judicieuse de rendre son renflouement conditionnel à de nouveaux investissements massifs des entreprises sur son territoire. Par conséquent, les années 1980 sont marquées par l’expansion du secteur automobile canadien, alors qu’il est en chute libre au sud de la frontière.
Sous l’effet de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), la libéralisation du commerce mondial progresse à un point tel que les importations à bas prix entraînent le déplacement de milliers de travailleurs canadiens. Le Canada est alors contraint de faire des choix difficiles. La négociation par Brian Mulroney de l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis en 1987 et la défaite du nationalisme économique lors des élections fédérales de l’année suivante représentent un tournant dans l’histoire du Canada.
Presque du jour au lendemain, l’économie de succursales du Canada perd toute utilité. Les multinationales restructurent leurs activités pour maximiser leur efficacité et dressent les gouvernements les uns contre les autres afin d’obtenir de nouveaux investissements. En Ontario, 300 000 travailleuses et travailleurs perdent leur emploi entre 1989 et 1992. Et l’expansion du libre-échange au Mexique en 1992 bouleverse encore la donne.
Les communautés ouvrières subissent de plein fouet la restructuration industrielle. Il n’y a rien de « juste » dans tout cela. Les conservateurs et les libéraux fédéraux restreignent l’admissibilité à l’assurance-emploi et réduisent les prestations, forçant bien des gens à recourir aux programmes provinciaux d’aide sociale. Chose incroyable, des personnalités politiques de toutes les tendances traitent la pauvreté comme une faute morale plutôt que comme un phénomène structurel.
Nous voici donc une génération plus tard, aux prises avec des choix difficiles et encore une autre vague de changement économique. Or, nous devons nous demander qui assumera le fardeau de cette réorientation de notre économie. Déjà, nous entendons un chœur de voix clamer de plus en plus fort que nous devons réduire les salaires, les taxes et la bureaucratie pour assurer notre concurrence à l’échelle mondiale. C’est une vieille rengaine, qui a produit une extrême inégalité des revenus. En effet, si Ronald Reagan n’avait pas réduit le taux le plus élevé d’imposition du revenu de 70 % à 28 %, nous ne verrions pas aujourd’hui des milliardaires faire la pluie et le beau temps.
À l’avenir, notre stratégie économique doit viser à maintenir le niveau de vie de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens.