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Le Squid Game des réseaux sociaux

4 mars 2025
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Par Iman Goodarzi

Source: Media Relations

Cet articlé a été publié dans La Presse.

Les plateformes numériques qui offrent des contenus et expériences alléchants ne sont pas sans rappeler les jeux dangereux de la série coréenne, explique le chercheur Iman Goodarzi.

Dans la série à succès de Netflix Squid Game (Le jeu du calmar), des participants désespérés s’engagent dans une compétition mortelle, attirés par des récompenses pouvant transformer leur vie, tout en ignorant les dangers imminents.

C’est une métaphore brutale des choix humains, où la promesse d’un gain masque souvent les coûts. Les réseaux sociaux semblent être notre version réelle de ce jeu : un terrain de jeu numérique offrant connexion, divertissement et opportunités. Mais à quel prix ?

Les réseaux sociaux ont révolutionné notre façon de communiquer et d’accéder à l’information. Ils ont donné une voix à ceux qui n’en avaient pas, créé des opportunités économiques pour des millions et démocratisé le savoir. Les gens les utilisent pour partager des idées, défendre des causes et bâtir des communautés. Pour beaucoup, ils ne sont pas qu’un outil, mais une bouée de sauvetage.

Cependant, derrière ces avantages se cache une réalité plus sombre.

Comme le dit la célèbre citation : « Si vous ne payez pas pour le produit, c’est que vous êtes le produit. » Les plateformes de réseaux sociaux, motivées par le profit, prospèrent grâce à notre engagement constant.

Les algorithmes privilégient le sensationnel plutôt que l’exactitude, alimentant la désinformation et les contenus polarisants. Les tendances nocives se propagent rapidement, affectant la santé mentale, exacerbant les divisions sociales et, dans certains cas, déstabilisant les démocraties. De plus, la surveillance invasive transforme nos « likes », partages et clics en marchandises vendues aux annonceurs.

Des obstacles à la régulation

Malgré ces dangers, nombreux sont ceux qui s’opposent à une régulation des réseaux sociaux. Pour eux, l’accès libre et illimité est un droit fondamental, un symbole de liberté. Toute intervention gouvernementale est perçue comme un glissement vers la censure et l’autoritarisme. Cette résistance pourrait expliquer pourquoi le Social Media Addiction Reduction Technology Act1 (SMART Act), proposé en 2019 par le sénateur Josh Hawley, n’a toujours pas été adopté.

Mais une liberté absolue sur les réseaux sociaux est-elle vraiment éthique ? Ou bien nous cache-t-elle les responsabilités qui en découlent ?

Dans Squid Game, les organisateurs permettent aux participants de voter pour continuer ou se retirer. Ils présentent cela comme un acte démocratique, mais l’illusion de choix est frappante : les candidats ignorent les dangers des niveaux suivants et les faibles chances de succès. Ils sont attirés par des promesses de récompenses transformant leur vie, mais sans contexte. Leur désespoir les pousse parfois à trahir les autres pour maximiser leurs propres bénéfices. Bien que la série semble exagérée, ses thèmes résonnent avec des théories réelles, comme le dilemme du prisonnier.

Il y a une évolution entre les saisons 1 et 2. Dans la première saison, les participants votent pour partir après le premier jeu, sans toucher aucune récompense. Dans la deuxième, ils votent après chaque jeu, et ceux qui partent partagent l’argent accumulé. Ce nouveau système incite à rester encore plus longtemps. Les plateformes de réseaux sociaux adoptent des tactiques similaires, prétendant se soucier de leurs utilisateurs tout en garantissant un engagement continu.

Par exemple, des fonctionnalités comme le « mode sommeil » retardent les notifications la nuit, mais elles les livrent toutes à 7 heures du matin, vous incitant à vérifier ce que vous avez manqué. Ces demi-mesures montrent que les plateformes privilégient les profits au détriment du bien commun.

Les gouvernements se retrouvent dans un dilemme éthique. Une surrégulation risque de freiner la liberté d’expression et l’innovation, tandis qu’une sous-régulation laisse les citoyens vulnérables.

Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) et le Digital Services Act de l’Europe tentent de trouver un équilibre en responsabilisant les plateformes tout en protégeant la vie privée des utilisateurs. Pendant ce temps, les contrôles stricts de la Chine démontrent les dangers d’une régulation excessive, où la frontière entre sécurité et oppression devient floue. L’Amérique du Nord, y compris le Canada, est en retard, luttant pour trouver le bon équilibre.

Le rôle de l’utilisateur

Mais cela ne concerne pas uniquement les gouvernements et les entreprises. Nous, utilisateurs, avons aussi une responsabilité. Les réseaux sociaux ne sont pas un espace sans règles. La liberté sans responsabilité engendre le chaos.

C’est à nous de pratiquer la littératie numérique, de remettre en question ce que nous lisons et de réfléchir avant de partager. Les plateformes doivent être plus transparentes, garantissant que leurs algorithmes ne profitent pas des vulnérabilités humaines. Et les gouvernements doivent jouer un rôle d’arbitre tout en intervenant pour le bien-être public.

La Prospect Theory explique comment les individus prennent des risques lorsqu’ils craignent de perdre des avantages. Dans Squid Game, les candidats entrent volontairement dans l’arène, aveuglés par l’espoir de richesse et d’évasion. En tant qu’utilisateurs de réseaux sociaux, faisons-nous la même chose ? Nous embrassons leurs avantages tout en ignorant leurs dangers, complices d’un système qui nous exploite souvent.

Si nous croyons vraiment que l’accès aux réseaux sociaux est un droit de la personne, il doit s’accompagner de responsabilités éthiques pour tous les acteurs : utilisateurs, plateformes et décideurs politiques. Sinon, nous risquons de construire une dystopie numérique où la liberté n’est qu’une illusion, et le contrôle, le prix ultime.

* Les recherches de l’auteur portent sur le rôle des technologies dans l’atténuation des torts qu’elles engendrent.




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