Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
« La géographie a fait de nous des voisins. L’histoire a fait de nous des amis. L’économie a fait de nous des partenaires. Et la nécessité a fait de nous des alliés. Que personne ne sépare ceux que la nature a ainsi réunis. » — John F. Kennedy, 17 mai 1961
La rencontre à Washington du premier ministre du Québec avec ses homologues des provinces canadiennes soulève de nombreuses interrogations sur le commerce entre le Canada et les États-Unis, ainsi que sur la possible renégociation de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM). Malgré les critiques acerbes du gouvernement Trump à l’égard de cet accord, la relation économique entre le Canada et les États-Unis a connu une croissance sans précédent, contribuant à améliorer le niveau de vie des citoyens des trois pays signataires.
Nombreux sont ceux qui considèrent que l’attitude autoritaire et intimidante du président Trump envers le Canada constitue une menace à une entente fondée sur la bonne foi entre les trois signataires de l’accord. Le défi est de taille pour le Québec, les provinces canadiennes et les États américains, d’autant plus que le président Trump avait exprimé sa volonté, lors de la renégociation de l’ALENA, de les exclure des discussions.
Ce n’est pas la première fois que des tensions surgissent entre le gouvernement américain et le gouvernement canadien. Au début des années 1960, les relations canado-américaines étaient tendues, notamment après le fiasco du débarquement de la baie des Cochons à Cuba en avril 1961. La visite du président Kennedy à Ottawa, un mois plus tard, visait à jeter les bases d’une relation plus harmonieuse.
Cependant, la crise des missiles à Cuba (octobre 1962) allait intensifier les frictions entre le président Kennedy et le premier ministre canadien John Diefenbaker, qui hésitait à soutenir un blocus de Cuba, en particulier après la découverte de missiles soviétiques sur l’île. Cette divergence mettait en lumière les limites de la coopération canado-américaine au sein de l’OTAN et du NORAD. L’histoire nous rappelle que les relations entre nos deux pays sont passées par plusieurs zones de turbulences qui ont été surmontées par une diplomatie active.

Des nations égales et indépendantes
Dans un discours prononcé à la Chambre des communes en 1961, le président américain John F. Kennedy soulignait les nombreux points communs entre le Canada et les États-Unis, affirmant que les deux pays étaient des nations égales et indépendantes. Il mettait en avant la nécessité que nos relations reposent sur la confiance et le respect mutuel. « Nous ne recherchons pas l’unanimité qui vient à ceux qui réduisent toutes les questions au plus petit dénominateur commun, ni à ceux qui cachent leurs divergences derrière des sourires figés », déclarait-il.
Son discours, prononcé en pleine guerre froide, marquait une étape importante dans la définition d’une collaboration équilibrée entre les deux nations.
Ce discours marqua l’histoire des relations canado-américaines. Après l’élection de Lester B. Pearson comme premier ministre du Canada en février 1963 et l’entrée en poste du président Lyndon B. Johnson à la suite de l’assassinat de Kennedy (novembre 1963), Johnson et Pearson se rencontrèrent à Washington en janvier 1964 pour créer un groupe de travail visant à établir « des principes acceptables » afin de gérer les divergences dans les politiques économiques et d’autres domaines d’intérêt commun.
Le rapport Heeney-Merchant
Ce groupe de travail binational, composé des anciens ambassadeurs américain et canadien Livingston T. Merchant et A.D.P. Heeney, publia son rapport le 28 juin 1965, il y a presque 60 ans. Ce rapport, intitulé Le Canada et les États-Unis. Les principes d’un partenariat en version canadienne et Les principes d’un partenariat en version américaine, visait à établir les bases d’une coopération plus étroite.
Les sujets abordés étaient nombreux : la taxation, le commerce avec Cuba, les armes nucléaires, l’aviation civile, le commerce du blé, les magazines américains au Canada, l’exportation du pétrole et du gaz. Le rapport fut publié peu après la mise en place du Pacte de l’auto, un accord commercial entre les trois géants américains de l’automobile et leurs partenaires industriels canadiens et américains.
À cette époque, on estimait que le « Big Three » exerçait une influence déterminante sur les politiques économiques des deux pays et qu’ils avaient convaincu les gouvernements américain et canadien de conclure cette entente sectorielle.
Les réticences au sein du gouvernement américain étaient palpables, notamment en raison des effets négatifs de cet accord sur la balance des paiements des États-Unis. Les récentes déclarations de Jim Farley, président de Ford, rappellent ces tensions, quand il met en garde le gouvernement Trump quant aux conséquences désastreuses que ses tarifs pourraient avoir sur l’industrie automobile américaine. Il réaffirme les bienfaits du Pacte de l’auto pour les deux pays.
Les principes
Le rapport Heeney-Merchant soulignait l’importance de créer un cadre de coopération fondé sur des principes clairs et partagés. Les deux cosignataires écrivaient : « Nous sommes convaincus qu’un régime spécifique de consultation entre les deux gouvernements s’impose. Nous sommes également convaincus que l’extension du partenariat entre nos deux pays offre de vastes possibilités d’avantages mutuels. »
Pour ce faire, un certain nombre de règles devraient guider cette coopération dans la mesure où les États-Unis assument pleinement leur leadership international comme « leader du monde libre » et dans le respect des divers traités et ententes visant autant la sécurité des États que la libre circulation des biens et services. Parmi les recommandations majeures figuraient :
1. La mise en place de mécanismes de consultation réguliers entre les deux gouvernements sur les questions d’intérêt commun à tous les niveaux de leur administration.
2. La résolution des divergences de vues par la voie diplomatique et, dans la mesure du possible, en privé.
3. La nécessité pour les autorités canadiennes de tenir compte de la position américaine et d’éviter les désaccords publics, en particulier sur des questions sensibles.
4. La conscience, de la part des États-Unis, des intérêts canadiens afin de prévenir toute violation de ces intérêts, qu’elle soit involontaire ou par ignorance.
5. L’extension de l’approche commune à d’autres domaines économiques, lorsque cela est démontré comme étant bénéfique pour les deux nations.
6. Le respect des responsabilités et des intérêts des deux pays au sein de l’OTAN, ainsi que des engagements pris dans le cadre des divers traités et accords internationaux.
Concernant la politique commerciale, le rapport insistait sur la nécessité pour les États-Unis d’être constamment à l’affût des impacts de leurs décisions sur le Canada, en particulier dans les domaines des tarifs douaniers et des affaires fiscales et monétaires.

L’isolationnisme du président Trump
Il est pertinent de s’interroger sur les véritables intentions de Donald Trump : les menaces tarifaires des États-Unis sont-elles une prémisse à la renégociation de l’ACEUM ou les balbutiements d’un programme expansionniste visant à faire du Canada le 51e État des États-Unis ? Le président Trump devrait s’inspirer de John F. Kennedy pour améliorer de manière constructive le partenariat entre le Canada et les États-Unis.
Il pourrait également prendre exemple sur Ronald Reagan, qui, à l’invitation de Brian Mulroney, avait accepté de discuter du commerce transfrontalier et de la création d’une zone de libre-échange pour favoriser la croissance économique en Amérique du Nord. Ce processus avait permis la création d’une nouvelle alliance face aux défis de la mondialisation. Les problèmes intérieurs des États-Unis ne peuvent se résoudre simplement par une politique commerciale agressive, mais plutôt par un dialogue constructif avec ses partenaires.
L’isolationnisme de Trump représente un défi pour la diplomatie canadienne et constitue une menace pour notre sécurité continentale.