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Une occasion de localiser et de démocratiser notre économie
Cet articlé a été publié dans Le Devoir.
La guerre commerciale lancée par le gouvernement Trump et le va-et-vient tragicomique quotidien de la politique économique étasunienne plongent les marchés mondiaux dans une grande incertitude importante et font planer la menace d’une récession mondiale. Notre réponse à cette situation doit dépasser les simples tactiques de diversification des marchés et de tarifs réciproques, qui n’ont qu’une portée très limitée. Au lieu d’alimenter la spirale d’une guerre tarifaire — ou de tenter de sauver un système dysfonctionnel qui augmente les inégalités et accélère la crise climatique —, nous avons devant nous une véritable occasion de rebâtir une économie plus résiliente et plus juste sur une base locale et démocratique.
Pourquoi ne pas profiter de cette conjoncture pour accélérer le développement de l’économie sociale, de coopératives et de biens communautaires au service de nos collectivités, qui échappent au diktat et aux aléas des marchés mondiaux ?
Il importe de rappeler que les prétendus « bienfaits de la mondialisation » concernent avant tout les grandes multinationales et les milliardaires de ce monde. Selon Oxfam, depuis 2020, pendant que l’inflation a fait des ravages pour les classes moyennes et moins bien nanties, la fortune combinée des milliardaires a augmenté de 3,8 milliards de dollars par jour. Aujourd’hui, après près d’un demi-siècle de mondialisation néolibérale, les 1 % les plus riches possèdent davantage que les 95 % les moins riches, et ils émettent un million de fois plus de CO₂ que la moyenne individuelle.
Le système actuel ne fonctionne ni pour la grande majorité des gens ni pour la planète. Or, la guerre tarifaire nous rappelle que, si le capitalisme mondialisé est injuste et insoutenable, il est également instable et vulnérable aux crises.
Face à cela, une politique de relocalisation et de démocratisation de l’économie apparaît comme une réponse non seulement pragmatique, mais nécessaire. Relocaliser ici, c’est réinvestir dans nos territoires, dans nos savoir-faire locaux, dans une économie au service des communautés et qui respecte davantage les cycles naturels. Mais pour que cette relocalisation soit véritablement effective, elle ne peut être pensée à travers le seul prisme du capitalisme ou du marché.

La meilleure façon de bâtir une économie qui ne soit pas assujettie aux aléas du marché, c’est de démarchandiser la production et la distribution, notamment, des biens et services essentiels. Il ne s’agit pas d’une vision utopique ou d’un idéalisme abstrait : des modèles différents existent bel et bien, à diverses échelles, ici au Québec. Pourquoi ne pas investir afin d’encourager et de consolider de tels modèles justes et soutenables susceptibles de nous affranchir de la dépendance aux marchés capitalistes mondiaux ?
Les modèles coopératifs et celui du partage communautaire sont de bons exemples d’institutions économiques plus résilientes, plus justes et moins vulnérables aux politiques d’un quelconque président américain. Les coopératives de solidarité, par exemple, sont des institutions économiques qui redonnent aux travailleuses et aux usagers un pouvoir direct sur la gestion de l’entreprise. Les biens communautaires, quant à eux, sont gérés collectivement par une communauté à travers des règles de gouvernance partagée.
Les jardins collectifs, les logiciels libres, les monnaies locales complémentaires, les cinémas communautaires, les centres d’artistes autogérés, les coopératives agricoles, les marchés publics, les coopératives de services Internet, les formes variées de circuits courts sont autant d’avenues qui existent et fleurissent autour de nous. Ces initiatives pointent vers un horizon démocratique au-delà des modèles établis de la propriété privée et de la nationalisation d’État, en faisant primer le droit d’usage et de gestion collective sur l’idée de la propriété privée et les impératifs de productivité et de concurrence. Plus largement, le secteur de l’économie sociale et solidaire (ESS) est particulièrement vibrant et innovant au Québec. Pourquoi ne pas le développer davantage ?
La guerre commerciale nous force à repenser notre politique économique. Nous avons une occasion de le faire en profondeur et de bâtir une infrastructure économique plus juste, résiliente et durable. Ce chantier est colossal, mais en investissant et en encourageant des initiatives de coopératives et de partage communautaire, nous pouvons faire mieux que d’imposer des contre-tarifs, nous pouvons sortir de la logique sans issue du tout-marché et mettre en place des solutions viables à plus long terme.