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Donal Fyson, Ph.D.

Pearl Eliadis

Professeur titulaire, Département des sciences historiques, Université Laval

mars 2024

Sur quoi vos recherches portent-elles?

Je me spécialise dans l’histoire du Québec et du Canada et je m’intéresse plus particulièrement à la période allant de 1760 au tournant du 20e siècle. Cependant, j’ai des projets qui s’étendent jusqu’aux années 1960. J’explore l’histoire de la justice pénale, de la peine capitale, de l’État et du maintien de l’ordre, ainsi que l’histoire urbaine et sociale en général. Bien que le Québec soit mon principal terrain de recherche, les questions que j’étudie permettent de mieux comprendre les tendances plus larges qui traversent les sociétés occidentales et qui se manifestent ailleurs.

Pourquoi mettre l’accent sur le système de justice pénale?

Curieusement, cela vient de mon intérêt initial pour l’histoire de l’alimentation, sujet sur lequel portait mon mémoire de maîtrise. J’ai collaboré à l’époque à un travail de premier cycle explorant la façon dont les juges de paix administraient les affaires municipales à Montréal au début du 19e siècle, notamment en ce qui a trait à la régulation des marchés publics. J’ai alors pris conscience de l’incroyable richesse des archives de Montréal en matière de justice criminelle, qui recelaient une mine de documents pratiquement intacts. Après avoir obtenu mon diplôme de maîtrise, j’ai entrepris un doctorat portant sur l’histoire des juges de paix eux-mêmes, puis je me suis graduellement orienté vers le domaine plus vaste de l’histoire de la justice pénale.

Sur quoi portent vos recherches actuelles?

Le projet le plus ambitieux auquel je travaille actuellement est une histoire de la peine capitale au Québec depuis 1760. Ce projet est né d’une question que l’on m’a posée sur les condamnations et les exécutions injustifiées. En explorant les recherches existantes sur l’histoire de la peine capitale au Québec, j’ai découvert que les informations étaient rares et souvent inexactes. J’ai donc dû faire la recherche moi-même, et j’y travaille depuis lors.

Je me suis graduellement concentré sur des projets centrés sur la ville de Québec. J’y habite, une bonne partie des archives y est encore inexplorée, et nombre de mes étudiants travaillent sur des sujets liés à cette ville. 

En quoi vos recherches concernent-elles les anglophones de la province, en particulier ceux de la ville de Québec?

Bien que je sois un anglophone qui étudie l’histoire du Québec et non un historien de la population anglophone de la province, il m’arrive de plus en plus d’aborder des sujets liés à cette population. Les anglophones ont joué un rôle crucial dans l’histoire du Québec, surtout pendant la période qui m’intéresse particulièrement, soit de 1760 à 1867. Ils sont très présents dans l’histoire de la justice criminelle au Québec en tant que juges, avocats, fonctionnaires de la cour, accusateurs et accusés. Ainsi, bien que je m’intéresse généralement aux Québécois dans leur ensemble, je me suis souvent penché également sur les relations entre francophones et anglophones, notamment au cours de la période qui a suivi la Conquête. 

Dans le cadre des cours sur l’histoire de la ville de Québec que j’enseigne à mon université, je parle souvent de la diversité qui caractérisait Québec au milieu du 19e siècle, alors que sa population était composée à 60 % de francophones et à 40 % d’anglophones et comprenait divers groupes tels que des Irlandais, des Anglais, des Écossais, des Gallois et des Américains. C’était très différent de la ville de plus en plus homogène qui prend forme à partir de la fin du 19e siècle. 

Parlez-nous brièvement de votre collaboration avec le Morrin Centre.

J’ai commencé à m’impliquer auprès du centre par l’intermédiaire de ma défunte épouse, Sovita Chander, qui a siégé au conseil d’administration de la Literary and HIstorical Society of Quebec à partir de 2007, avant d’y occuper le poste de présidente de 2012 à 2016. La société gère le Morrin Centre, dont les locaux se trouvent dans un bâtiment historique fascinant de la ville, une ancienne prison. Après avoir été restauré, l’immeuble a rouvert ses portes au début des années 2000 et abrite le centre culturel et la bibliothèque de langue anglaise que nous connaissons aujourd’hui. J’ai d’abord contribué à la préparation d’une exposition sur l’histoire de la prison et coécrit un livre sur l’histoire du bâtiment – la partie que je rédigeais était consacrée à la prison. Par la suite, j’ai joint le conseil d’administration de l’organisme et je suis aujourd’hui bibliothécaire honoraire du centre. J’ai participé à diverses activités liées à l’histoire, telles qu’une exposition et une visite interactive sur l’histoire de la peine capitale. Je travaille actuellement à l’élaboration d’une version entièrement nouvelle de l’exposition sur l’histoire de la prison, en m’inspirant de mes recherches.

Qu’est-ce qui vous a surpris lors de vos recherches sur l’histoire de la ville de Québec?

J’ai été grandement surpris de constater à quel point les Canadiens (francophones) se sont adaptés aux institutions britanniques au lendemain de la Conquête, telles que le droit pénal anglais, le jury, la démocratie locale et le parlementarisme. Après une conquête militaire se pose la question de l’adaptation des peuples conquis : refusent-ils de participer (mentalité de boycottage) ou tentent-ils de tirer parti des espaces politiques limités dont ils disposent? C’est cette dernière situation qui a prévalu au Québec au cours de la période allant de 1760 à 1840.

La surreprésentation des anglophones parmi les personnes condamnées par le système de justice pénale est un autre aspect étonnant. Après la Conquête, les anglophones constituaient la majorité des personnes condamnées par les juridictions pénales supérieures, bien qu’ils aient été minoritaires dans la population générale. Mes recherches actuelles sur les exécutions et les prisons révèlent aussi une importante surreprésentation des anglophones dans ces deux groupes. C’était également le cas à la prison de Québec.

Dans l’ensemble, le système de justice pénale ne semble pas avoir été principalement utilisé comme un outil de répression politique contre la population colonisée, comme on pourrait normalement s’y attendre dans une société conquise. Il y a certainement eu des moments de répression politique brutale, comme à la suite des rébellions de 1837-1838, mais la répression s’est surtout portée sur d’autres groupes marginalisés, tels que les pauvres des villes. Même sur ce plan, le système judiciaire jouait un rôle complexe : la prison de Québec faisait souvent office de service social, constituant le seul recours pour les personnes démunies – souvent des femmes – qui s’étaient préalablement vu refuser l’accès à d’autres organismes de protection sociale.

Pourquoi les recherches historiques sont-elles importantes dans le contexte social actuel?

Les archives judiciaires sont souvent le seul endroit où l’on peut entendre les voix des personnes marginalisées comme les pauvres, les femmes des classes populaires, les personnes racisées, les minorités sexuelles et les Autochtones. Bien que ces voix nous parviennent par l’entremise d’intermédiaires, notamment les greffiers, ces documents constituent un moyen d’accéder à ces personnes et à leur vie quotidienne.

De nos jours, il existe malheureusement un lieu commun selon lequel les communautés marginalisées ont été largement négligées par les historiens, alors que dans les faits, les historiens universitaires s’intéressent à ces groupes depuis très longtemps. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour que l’histoire de ces communautés soit mieux connue du public et pour que les communautés elles-mêmes participent à ce processus.

En ce qui a trait à l’histoire, je suis un empiriste dans le sens où je crois que les archives historiques, quelle que soit leur nature, permettent d’accéder à ce qui a eu lieu dans le passé; je suis d’avis qu’il y a des choses qui se sont produites, et d’autres qui n’ont pas eu lieu. Il y a, sinon une vérité, du moins une véracité dans l’histoire. Il est important de s’en souvenir à une époque où les « fausses nouvelles » et les contrevérités sont véhiculées par de nombreux hommes politiques et autres figures publiques. C’est pourquoi je pense qu’il est très important de continuer à s’appuyer sur les archives historiques pour témoigner du passé.

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