MIKA YATSUHASHI
An Uninterrupted View of the Sea
2020
Vidéo, 15 min, 8 sec.
Démarche artistique
À l’aide de vieilles photos, de films en Super 8 et de documents du FBI, une cinéaste américano-japonaise raconte comment sa famille a lutté pour prouver son identité américaine durant la Deuxième Guerre mondiale. Qu’il s’agisse de son commerce d'oeuvres d'art ou de sa maison de plage adorée, l’arrière-grand-père de la cinéaste n’est à l’abri d’aucun soupçon. Entre « étrangère » et « citoyenne », Mika Yatsuhashi explore les effets du passé immigrant de sa famille japonaise sur son identité américaine actuelle.
Biographie de l’artiste
Mika Yatsuhashi a passé son enfance à Takoma Park, au Maryland. Elle s’est installée à Montréal en 2017 afin d’étudier à l’École de cinéma Mel Hoppenheim de l’Université Concordia et y a obtenu son baccalauréat ès beaux-arts en production cinématographique en 2021. En 2020, elle a remporté le prix Mel Hoppenheim en reconnaissance de ses réalisations exceptionnelles. Yatsuhashi est passionnée par l’identité, le cinéma documentaire, l’histoire américaine et les documents d’archives. An Uninterrupted View of the Sea est son premier film à avoir été projeté nationalement et internationalement, présenté à HotDocs (à Toronto), aux Rendez-vous Québec Cinéma (à Montréal), aux musées d’art asiatique Freer et Sackler de l’Institut Smithsonian (à Washington, DC) et plus encore.
Essai
Un réveil brutal : le mythe du rêve américain
Auteur.trice Anastasia Koutsogiannis
Artiste Mika Yatsuhashi
Œuvre An Uninterrupted View of the Sea, 2020
Que faut-il pour être considéré comme un.e véritable Américain.e? Quelques années avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis ont créé des listes de détention préventives visant les civils d’origine japonaise dans tout le pays. En cas de guerre, ces listes seraient utilisées pour rassembler toute personne que le gouvernement fédéral jugerait suspecte. Après l’attaque de Pearl Harbour en 1941, les noms se trouvant dans ces registres ont été désignés comme « étrangers ennemis ». La communauté japonaise des États-Unis était sous surveillance et plusieurs de ses membres ont été interné.e.s dans des camps dirigés par des militaires.1 Témoignant de cette époque troublante, le film de Mika Yatsuhashi, An Uninterrupted View of the Sea (Une vue dégagée sur la mer), explore l’expérience de son arrière-grand-père, Haruchimi Yatsuhashi, un Américain d’origine japonaise. Arrivé en 1907, le jeune homme d’affaires s’est installé à Boston où il a été le vice-président respecté de la célèbre société d’art Yamanaka and Co. Après avoir investi dans la communauté pendant plusieurs années, Yatsuhashi est traité comme suspect et fait l’objet d’enquêtes. Les archives familiales révèlent un rêve américain profondément illusoire.
Des scènes empreintes de nostalgie et présentant des souvenirs heureux défilent sur l’écran dans l’environnement immersif de la boîte noire. Malgré la présentation de moments paisibles, une tension se dessine. La cinéaste révèle ses mains et sa voix afin de nous guider à travers les mots cinglants du FBI qui s’étalent sous nos yeux, soulignant cette partie importante de son histoire familiale. Yatsuhashi explique ses choix esthétiques : « Mon objectif, avec les découpes, était que vous les lisiez comme je les ai lues : avec minutie et une attention spécifique au langage. »2 La réalisatrice nous propose ainsi d’expérimenter la déconstruction du document comme elle l’a vécue. Le vocabulaire détaché et mécanique contraste avec la joie estivale alors que les documents fédéraux s’infiltrent au sein des souvenirs familiaux. Aux mains d’une opération systémique raciste, la « vue ininterrompue de la mer dans toutes les directions » est devenue suspecte. La cinéaste précise que « même si vous [un.e immigrant.e en Amérique] réussissez au plus haut niveau, vous pouvez toujours être démoli.e. »3 Ce genre de système est impossible à vaincre. Pour la communauté japonaise-américaine, leur « américanité » est donnée et retirée au gré des envies de la société. Aussi haut que vous soyez dans l’échelle sociale, la menace de l’instabilité plane toujours.
Photo par Guy L’Heureux
Ce qui leur est arrivé est un peu le pire cauchemar de bien des familles d’immigrants.
Le mépris des traditions et de l’héritage culturel japonais a également contribué à renforcer l’isolement durant ce moment difficile. Sur l’écran, des images d’archives provenant de l’inventaire de Yamanaka and Co. apparaissent devant nous et disparaissent tout aussi rapidement. Perdues aux enchères publiques, les riches contributions de la communauté japonaise américaine, et en particulier celles des Yatsuhashi, sont dévaluées et rejetées. « Ce qui leur est arrivé est un peu le pire cauchemar de bien des familles d’immigrants. Aux États-Unis, la culture, c’est : tu arrives et tu t’intègres si tu veux réussir. Souvent, on y est contraint ou on ressent le besoin d’abandonner plusieurs éléments qui nous lient à notre pays d’origine. »4 Après une pause de réflexion, l’artiste conclut : « Pour s’identifier comme Américain.e, il faut trouver sa propre définition et établir ses propres normes. »5 En dévoilant l’histoire de sa famille, le film de Yatsuhashi parle du long chemin vers l’assimilation culturelle, qui est en réalité vouée à l’échec. Après toutes ces années, le besoin d’être accepté.e se heurte à l’opposition de ceux et celles qui ont établi ces barrières sociales.
- Densho, « Looking Like the Enemy - Densho: Japanese American Incarceration and Japanese Internment, » consulté le 10 juillet, 2015.
- Mika Yatsuhashi en conversation avec l’autrice, juin 2021.
- Idem.
- Idem.
- Idem.
Biographie de l’auteur.trice
Établie à Montréal, Anastasia Koutsogiannis étudie l’histoire de l’art et le cinéma à l’Université Concordia. Afin de tisser des liens avec des artistes de tous les styles et de tous les champs de pratique, elle est devenue membre de l’équipe de rédaction de Bidgala, une communauté artistique proposant également un marché d’art en ligne. À travers ses publications, elle s’efforce de mettre en valeur la voix des créateur.trice.s, dans l’espoir de loger leurs œuvres dans le monde de l’écrit. Il importe, selon elle, de documenter et d’ancrer la mémoire dans des œuvres physiques, que ce soit par l’intermédiaire de l’écriture, de la photographie, de l’internet ou tout autre moyen d’expression.