Les signaux qui prédisent la consommation d’alcool demeurent forts même après une abstinence prolongée, selon une nouvelle étude
Traiter la dépendance à l’alcool n’est pas une mince affaire. Bien que les symptômes physiques du sevrage puissent s’estomper au bout de quelques jours ou semaines, jusqu’à 90 pour cent des alcooliques risquent de faire une rechute dans les quatre ans qui suivent le traitement.
Nadia Chaudhri, professeure agrégée de psychologie à la Faculté des arts et des sciences, veut savoir pourquoi. Quels sont les déclencheurs qui peuvent pousser les personnes aux prises avec un trouble de consommation d’alcool à rechuter après des mois, voire des années d’abstinence complète?
Dans un article publié récemment dans la revue Alcoholism Clinical and Experimental Research, la professeure Chaudhri et ses collègues font état de deux modèles qu’elles ont créés afin de mieux comprendre le phénomène de la rechute chez des rats dépendants à l’alcool. Ces travaux de recherche ont été menés sous la direction de Mandy LeCocq, étudiante aux cycles supérieurs à l’Université Concordia.
Les chercheuses se sont servies de signaux sonores pavloviens pour susciter une envie d’alcool chez des sujets animaux. Durant une période d’environ trois semaines, des rats ont été conditionnés au moyen de salves de bruit blanc d’une durée de 10 secondes suivies d’une goutte d’alcool administrée par un tube dans leur cage d’examen.
« Avec le temps, les rats en viennent à apprendre que le retentissement du bruit blanc annonce la consommation d’alcool », explique Nadia Chaudhri, titulaire d’une subvention de chercheuse boursière du Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ).
« Aussitôt que le signal retentit, les rats se dirigent vers l’abreuvoir et attendent que l’alcool leur soit présenté. Nous pouvons mesurer ce conditionnement en fonction du temps, puis cerner les facteurs qui influencent ce comportement. »
Qu’arrive-t-il quand on ferme le robinet – et qu’on l’ouvre de nouveau?
Les rats étant dorénavant conditionnés à rechercher de l’alcool en réponse au signal, les chercheuses ont élaboré deux modèles distincts de rechute. Dans les deux cas, on commence par supprimer l’association entre le signal et la présentation d’alcool, étape appelée « extinction ». Pour ce faire, on produit le signal à répétition sans présenter d’alcool aux sujets. « Avec le temps, les rats cessent de répondre au signal », indique la professeure Chaudhri.
Le premier modèle est celui du « paradigme de la guérison spontanée ». Trois semaines après l’étape de l’extinction, les chercheuses exposent de nouveau les animaux au signal.
« Nous avons constaté que les rats réagissent très fortement, observe-t-elle. Comme s’ils se souvenaient que le signal prédisait la consommation d’alcool. »
Ces résultats sont importants pour l’humain parce qu’ils donnent à penser que les réactions aux signaux qui prédisent la consommation d’alcool ne disparaissent jamais complètement. On peut cesser de réagir aux signaux, mais l’exposition à un signal un certain temps plus tard peut encore provoquer une forte réaction susceptible de mener à une rechute.
« Le traitement peut contribuer, au début, à atténuer la réaction aux signaux qui prédisent la consommation d’alcool, affirme Nadia Chaudhri. Mais un certain temps après la fin du traitement, le fait de voir une publicité de vodka à la télé peut à nouveau déclencher une envie d’alcool. Il semble que les envies irrésistibles induites par les signaux ne disparaissent jamais complètement. »
Le second modèle commence également par l’étape de l’extinction. Une fois que les rats ne répondent plus au signal, les chercheuses leur présentent à nouveau de l’alcool. Le lendemain, la réponse des sujets au seul signal est évaluée. Or, encore une fois, les rats réagissent au signal comme si celui-ci annonçait la consommation d’alcool. Ce processus, appelé « rétablissement » (en anglais, reinstatement), signifie un retour complet de la réponse au déclencheur : après avoir goûté à l’alcool, l’animal recommencera immédiatement à réagir aux déclencheurs qu’il avait cessé de prendre en compte.
« Pour nous, ces résultats sont intéressants, car il arrive que certaines personnes devenues abstinentes se disent : “Parfait. Je peux faire usage de cette drogue une seule fois, ou prendre seulement une gorgée d’alcool”, commente Nadia Chaudhri. Nous modélisons l’effet d’un phénomène qui n’est pas exactement une rechute – mais certainement un écart de consommation – sur la réaction future d’une personne à des signaux qui prédisent la prise d’alcool. »
La professeure Chaudhri espère que ses modèles aideront d’autres chercheurs à comprendre les processus psychologiques et neuraux qui sous-tendent la rechute, ainsi qu’à envisager des moyens pour aider les alcooliques à l’éviter.
Cette étude a été financée par les Instituts de recherche en santé du Canada.
Consultez l’article cité : Modeling Relapse to Pavlovian Alcohol‐Seeking in Rats Using Reinstatement and Spontaneous Recovery Paradigms.
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