Des chercheurs élaborent une plateforme à base de levure pour accroître la production de molécules naturelles rares
NOTE DE LA RÉDACTION : Menée par Vincent Martin – professeur au Département de biologie et titulaire de la chaire de recherche de l’Université Concordia en génie microbien et en biologie synthétique – et son équipe, cette recherche sur une utilisation inédite de la biologie synthétique aux fins de la conception d’une molécule clé au profit de l’industrie pharmaceutique figure au palmarès des dix découvertes les plus importantes de 2020 établi par le magazine Québec Science.
Nombre de médicaments modernes, dont les analgésiques et les opioïdes, sont dérivés de rares molécules présentes dans les plantes et les bactéries. Si elles sont efficaces contre une foule de maux, beaucoup de ces molécules se révèlent difficiles à produire en grandes quantités. Certaines requièrent des procédés si laborieux qu’il n’est pas rentable pour les entreprises pharmaceutiques de les fabriquer en quantités suffisantes pour les mettre en marché.
Dans une nouvelle étude parue dans Nature Communications, Vincent Martin, professeur de biologie à l’Université Concordia et titulaire de la chaire de recherche de l’établissement en génie microbien et en biologie synthétique, présente une méthode pour synthétiser beaucoup plus rapidement et efficacement des molécules bioactives complexes.
L’un des principaux ingrédients de cette nouvelle technique mise au point par le chercheur est simple : la levure de boulangerie.
Présentant des processus cellulaires semblables à ceux des humains, cet organisme unicellulaire offre en effet aux biologistes un substitut efficace pour la recherche visant à concevoir des médicaments. À l’aide d’approches de pointe en biologie synthétique, le Pr Martin et ses collègues de Berkeley, en Californie, ont ainsi pu produire une grande quantité d’alcaloïde benzylisoquinoline en vue de synthétiser un éventail de structures chimiques naturelles et jamais vues dans la nature sur une plateforme à base de levure.
Le scientifique estime qu’il pourrait s’agir d’un modèle pour la fabrication à grande échelle de milliers de produits, dont les analgésiques opioïdes que sont la morphine et la codéine. Il en va de même pour la naloxone et la naltrexone, antagonistes opioïdes qui servent à traiter les surdoses et la dépendance.
Il y a loin du gène au marché
Vincent Martin s’attache à obtenir un tel résultat depuis près de deux décennies. Il a commencé par étudier le code génétique qu’utilisent les plantes pour produire les molécules employées comme médicaments par l’industrie pharmaceutique. La transplantation de leurs gènes et de leurs enzymes dans la levure a suivi pour déterminer si la production était possible en dehors d’un contexte naturel. La fabrication industrielle constituera la prochaine étape.
« Dans nos articles précédents, nous avons montré que nous pouvions obtenir des milligrammes de ces molécules assez facilement, mais le procédé n’est commercialisable que si l’on peut obtenir des grammes, explique le chercheur. En principe, nous disposons maintenant d’une plateforme technologique pour assurer la production à cette échelle. »
Selon lui, cette avancée pourrait avoir des retombées considérables pour un pays comme le Canada, qui doit importer la plupart des molécules rares utilisées dans les médicaments. Le fait s’avère particulièrement pertinent à l’heure actuelle, en pleine pandémie mondiale, alors que de fragiles chaînes d’approvisionnement risquent d’être perturbées.
« À mes yeux, la situation souligne vraiment l’importance de trouver des procédés biotechnologiques de rechange qui pourraient jeter les bases d’une industrie pharmaceutique nationale, ajoute-t-il. Beaucoup d’ingrédients que nous utilisons aujourd’hui ne sont pas très difficiles à fabriquer, mais un problème se pose si le processus d’approvisionnement canadien n’est pas fiable. »
De saines économies
Vincent Martin admet qu’il est curieux de voir où la technologie nous mènera. Il croit que les chercheurs recourront à la nouvelle plateforme pour découvrir et commercialiser des médicaments inédits.
« Grâce à cette plateforme, nous avons montré que nous pouvons élaborer des molécules jamais vues dans la nature, conclut-il. En expérimentant des enzymes, des gènes et des méthodes de culture, nous pouvons mettre au point des outils qui serviront à trouver des médicaments. Nous accéderons ainsi à un espace structural entièrement inexploré. »
L’étude a bénéficié d’une subvention axée sur la biocatalyse industrielle et d’une subvention à la découverte du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada ainsi que du soutien financier de River Stone Biotech ApS.
Lisez l’article cité : « A yeast platform for high-level synthesis of tetrahydroisoquinoline alkaloids ».