Les mouvements oculaires des personnes dyslexiques révèlent des stratégies de lecture laborieuses et inefficaces, montre une étude de Concordia
Depuis longtemps déjà, les chercheurs savent que les lecteurs dyslexiques ont des mouvements oculaires très différents de ceux des autres. Ces mouvements ont déjà été étudiés au sein de petits groupes, mais un article récemment publié par une équipe de recherche de l’Université Concordia dans la section Scientific Reports de la revue Nature s’intéresse à un échantillon bien plus large. Grâce à une technologie permettant de suivre et d’enregistrer les mouvements oculaires, ils en ont conclu que les personnes dyslexiques traitaient l’information visuelle complètement différemment et bien plus difficilement que le lecteur moyen.
« On sait depuis longtemps que les personnes dyslexiques lisent plus lentement que les autres », affirme Aaron Johnson, coauteur de l’article, professeur agrégé et directeur du Département de psychologie.
« Des études antérieures se sont intéressées aux mouvements oculaires des adultes dyslexiques. Mais cet article réunit efficacement l’ensemble de l’information à ce sujet et s’appuie sur des mesures comportementales pour dresser un portrait global des différences observées. »
Le secret est dans les yeux
Les chercheurs s’intéressant à la dyslexie utilisent plusieurs paramètres pour mesurer les mouvements oculaires, comme les fixations (durée des arrêts), les saccades (durée des bonds) et le nombre de bonds oculaire du lecteur. D’ordinaire, ils n’emploient qu’une phrase pour prendre toutes ces mesures. Or, M. Johnson et ses coauteurs ont choisi de faire lire des textes identiques normalisés de plusieurs phrases à 35 étudiants de premier cycle ayant un diagnostic de dyslexie et à 38 autres formant un groupe témoin.
L’équipe de recherche souhaitait ainsi répondre à une question fondamentale du domaine : les difficultés de lecture sont-elles causées par un problème cognitif ou neurologique ou par les mouvements oculaires permettant de saisir l’information?
« Nous avons observé des vitesses de lecture très variées, certains étudiants dyslexiques lisant jusqu’à trois fois moins vite que les lecteurs les plus rapides du groupe témoin », affirme Léon Franzen, auteur principal de l’article et ancien boursier postdoctoral Horizon au Centre d’études sensorielles de l’Université Concordia, maintenant à l’Université de Lübeck, en Allemagne.
« En utilisant différentes mesures pour dresser un portrait exhaustif de la situation, nous avons conclu que la différence de vitesse n’était pas liée au temps de traitement de l’information visuelle non linguistique. Elle semblait plutôt découler directement des mouvements oculaires. »
M. Franzen souligne que lorsque les participants dyslexiques lisaient un texte, ils prenaient des pauses plus longues pour assimiler l’information, sans toutefois avoir de mal à replacer le sens des mots dans le contexte de la phrase. Ce comportement est fréquemment observé chez les enfants qui apprennent à lire. Les adultes qui lisent à une vitesse normale n’effectuent pas ces pauses ni ces mouvements oculaires.
« La dyslexie est un trouble du développement qui commence durant l’enfance », explique Zoey Stark (maîtrise 2021), deuxième auteure de l’étude. L’étudiante de Concordia vient d’obtenir sa maîtrise en psychologie et commencera bientôt un doctorat dans le cadre duquel elle continuera d’étudier la dyslexie. « Le problème n’est souvent diagnostiqué que lorsque l’enfant commence à éprouver de véritables difficultés. »
Les trois chercheurs ont travaillé ensemble au Laboratoire d’étude de la vision de Concordia.
Des outils commerciaux à la rescousse
M. Franzen explique que la technologie de suivi oculaire ouvre en quelque sorte une fenêtre sur le processus cognitif : elle permet aux chercheurs d’observer comment les personnes dyslexiques abordent la lecture et les difficultés qu’elles rencontrent. Et comme cette technologie est de plus en plus courante et abordable (la plupart des caméras Web et de nos téléphones intelligents en sont dotés), les chercheurs espèrent pouvoir l’utiliser pour mieux évaluer et améliorer la façon de lire des personnes dyslexiques.
« Maintenant que nous avons pris conscience de ces particularités chez les personnes dyslexiques, nous devons nous demander comment les aider à lire plus efficacement, souligne M. Johnson. Y a-t-il moyen de modifier les textes pour les rendre plus faciles à décoder, par exemple en modifiant la police ou la taille des caractères? Ce sera la prochaine étape de notre étude. »
Lire l’article cité : « Individuals with dyslexia use a different visual sampling strategy to read text ».