La jeunesse queer donne un nouveau sens au fait d’habiter un quartier LGBTQ, selon une chercheuse de l’Université Concordia
Malgré la pandémie, le Village gai demeure le quartier où la communauté LGBT montréalaise célèbre son histoire, mélange de lutte pour les droits civiques, de vie nocturne florissante et de cohabitation plutôt paisible entre commerce et vie urbaine.
Néanmoins, depuis plusieurs décennies, la jeune génération s’éloigne du village. De plus en plus de personnes qui s’identifient comme queers (par opposition aux personnes gaies, lesbiennes, bisexuelles ou trans) s’installent ailleurs dans la ville, principalement par rejet de la tradition commerciale et touristique associée à la rue Sainte-Catherine. Il y a quelques années encore, le Mile-End était au cœur de ce mouvement.
Julie Podmore, professeure adjointe affiliée (géographie, urbanisme et environnement) à la Faculté des arts et des sciences, se penche sur le Mile-End comme noyau queer de la ville dans un chapitre de l’ouvrage The Life and Afterlife of Gay Neighborhoods: Renaissance and Resurgence, rédigé sous la direction d’Alex Bitterman et de Daniel Baldwin Hess.
À trois kilomètres au nord du Village, l’arrivée de jeunes personnes queers dans le Mile-End a coïncidé avec l’émergence de ce quartier comme épicentre de la culture indépendante. Le Mile-End est ainsi devenu un lieu d’accueil pour les personnes queers, comparable à Queen West (Toronto) et, dans une moindre mesure, à la Commercial Drive de Vancouver.
« Pour moi, depuis longtemps, le Mile-End était avant tout un quartier lesbien anglophone », explique la chercheuse. Elle poursuit :
« Quand j’ai conçu le projet, il y a environ 10 ans, on commençait à parler de la “dégai-isation” des villages gais et de l’émergence de quartiers queers. J’ai constaté ce phénomène dans le Mile-End, qui se transformait simultanément en quartier branché caractérisé par une production culturelle foisonnante. »
Exclusion homonormative
Mme Podmore a recruté des personnes queers étudiant aux cycles supérieurs, qui ont interviewé des membres de leur communauté pour recueillir leurs impressions sur le quartier. Conclusion : les jeunes personnes queers interviewées, dont la plupart avaient reçu une bonne éducation, étaient relativement aisées, parlaient surtout anglais et repoussaient les frontières de l’identité sexuelle et de genre. Par ailleurs, la majorité d’entre elles se sentaient mal à l’aise dans le Village.
Celui-ci était perçu comme un lieu réservé aux femmes et aux hommes cisgenres blancs d’un certain âge. Le Village était homonormatif, autrement dit un espace pour les membres de la communauté LGBT qui avaient choisi de se fondre dans la société dominante. Il était aussi associé à une forte présence policière, au commerce et au tourisme. Beaucoup de jeunes personnes queers se sentaient exclues.
« On constate une dichotomie entre le Village LGBT et le Mile-End queer, indique la chercheuse. Je voulais me pencher sur l’idéal urbain de chaque groupe. »
Son constat : une différence marquée, exprimée de manière éloquente. Mais Mme Podmore souligne que les personnes interviewées ne comprenaient pas forcément tout ce que représentait le Village et ce qu’il avait à offrir.
« C’est peut-être un lieu où beaucoup de gens, surtout des jeunes qui viennent de l’extérieur de la ville, se rendent pour sortir du placard », note-t-elle. Elle ajoute avoir rencontré des réfugiés et des réfugiées pour qui le Village est un lieu de liberté. Mais pour les personnes queers issues de la génération Y et d’une certaine classe sociale, explique-t-elle, le quartier est devenu un lieu de consommation, et a donc perdu sa valeur.
Embourgeoisement 2.0
Sans surprise, le Mile-End d’aujourd’hui est bien différent de celui qu’étudiait l’équipe de Mme Podmore. Certains établissements dirigés par des personnes queers, comme le café Cagibi et le Royal Phoenix Bar, ont été forcés de déménager ou de fermer leurs portes. De manière générale, les commerces sont nombreux à quitter le quartier en raison d’une importante hausse des loyers.
Pour la chercheuse, Hochelaga-Maisonneuve, Saint-Henri et Pointe-Saint-Charles sont des quartiers queers en devenir, et donc d’éventuels objets d’étude.
Elle ajoute que les noyaux queers en milieu urbain représentent un nouvel archétype, propice à l’émergence de différentes cultures et orientations politiques.
Lisez le chapitre cité : « Far Beyond the Gay Village: LGBTQ Urbanism and Generation in Montréal’s Mile End »