Deux doctorantes en éducation artistique introduisent le mouvement pour la lenteur à Concordia
De plus en plus de données montrent les effets négatifs des pressions concurrentielles sur la qualité de vie des chercheuses et chercheurs universitaires, de même que sur l’enseignement et la recherche. Cela conduit nombre d’universitaires à s’interroger sur leur rôle au sein de l’enseignement supérieur.
Stacey Cann (B. A. 2012) et Victoria Stanton (B. Bx-arts 1995, Cert. 1996), toutes deux doctorantes au Département d’éducation artistique de Concordia, offrent aux universitaires l’occasion de faire une pause pour envisager une vie universitaire marquée par des pratiques et un rythme différents.
Mme Cann se rappelle les propos d’un étudiant au doctorat : « J’aimerais ralentir, mais je ne sais pas comment je pourrais y arriver en tant que doctorant. »
Ces propos avaient conduit Mme Cann à se demander s’il est réellement possible de ralentir. « Il est important, précise-t-elle, de réfléchir à cette question en groupe, et non individuellement. »
À la suite d’échanges sur le sujet l’automne dernier, Mmes Cann et Stanton ont mis sur pied le Bureau de la recherche non compétitive, qui vise à assainir la culture de la recherche.
« Il s’agit de jeter un œil critique sur la culture de la recherche, de l’appréhender de manière pertinente et sensible, du point de vue humain plutôt que de celui des entreprises », explique Mme Stanton.
« Créer des lieux d’apprentissage innovants »
À l’automne 2021, le Bureau de la recherche non compétitive a organisé une série d’échanges virtuels intitulée « Slowness and the Institution: Doing Research Differently », avec le soutien du Centre d’études sur l’apprentissage et la performance (CEAP) de Concordia.
Dans le cadre de ces échanges publics, des artistes, enseignants et universitaires de divers pays ont discuté des liens entre, d’une part, le mouvement pour la lenteur – qui prône un rythme de vie plus lent – et, d’autre part, la production artistique, les pratiques interdisciplinaires ainsi que les établissements universitaires et du monde de l’art. Cela a donné lieu à l’expression de points de vue divergents sur les nombreux types de méthodes d’instauration de la « lenteur ».
Des enregistrements des échanges précités sont accessibles sur la chaîne YouTube du CEAP.
« C’était très intéressant pour nous d’entendre aborder les divers aspects de la lenteur au travers d’un éventail de prismes, précise Mme Stanton. Les participants ont traité des mêmes aspects, mais en exprimant leurs points de vue très divers. »
Mmes Cann et Stanton estiment que les échanges précités ont eu une vraie résonance auprès des participants à l’exercice. Issus de diverses disciplines, tous les chercheurs et chercheuses qui y ont pris part se sont dits ravis d’avoir l’occasion de remettre en question leur climat de travail.
« Je suis très heureux que le CEAP ait eu la chance d’organiser cette série d’échanges porteurs d’innovations avec le Bureau », affirme Vivek Venkatesh, directeur du CEAP et professeur de pratiques inclusives en arts visuels au Département d’éducation artistique.
« Ces échanges, poursuit le professeur Venkatesh, contribueront à la création de lieux innovants permettant de bénéficier d’un apprentissage au côté des artistes, des penseurs, des philosophes et des chercheurs des cycles supérieurs que compte Concordia. »
« La coopération entre les gens génère de meilleures idées »
L’article de Mmes Cann et Stanton intitulé « Guérison par la parole : le dialogue comme résistance collaborative », paru dans le dernier numéro de la revue esse arts + opinions, traite de cette question.
« Je pense que la coopération entre les gens génère de meilleures idées, explique Mme Cann. Or, ils ne peuvent coopérer si on les pousse trop à être compétitifs et à faire les choses à toute allure. Victoria et moi sommes, par exemple, en concurrence pour quelques subventions. Le Bureau a pour but de créer un lieu qui nous permet de réfléchir ensemble plutôt que de nous livrer concurrence. »
Il ne s’agit pas de rejeter l’université en tant qu’institution, ajoute Mme Stanton, mais d’en refaire ce qu’elle était au départ : un lieu où il est possible d’exprimer ses idées, de réfléchir aux points de vue des uns et des autres, d’obtenir des réactions, ainsi que d’avoir des opinions et des visions différentes de la nature du travail universitaire, sans la pression qu’exerce l’actuel modèle néolibéral.
« Quand faut-il agir, et quand vaut-il mieux s’arrêter et écouter? »
Mmes Cann et Stanton croient que la lenteur peut aussi aider à contrer la culture polarisée qui sévit sur les campus et à l’extérieur de ceux-ci.
« Cela, précise-t-elle, nous permet de nous arrêter pour prendre en compte les points de vue opposés au nôtre, plutôt que de tout de suite passer à l’attaque pour défendre celui-ci. »
Mme Stanton ajoute qu’une partie de l’exercice consiste à cultiver une certaine perception du temps. Mais le souci de la lenteur peut aussi être problématique lorsque, par exemple, il pousse un établissement à ralentir l’apport de changements plus que nécessaires.
« Quand faut-il agir, et quand vaut-il mieux s’arrêter et écouter? Il ne s’agit pas d’écarter l’une ou l’autre de ces approches, mais de déterminer quand il est judicieux d’opter pour l’une ou l’autre », affirme Mme Stanton.
« L’application de ce type de raisonnement intellectuel s’inscrit pleinement dans l’action du CEAP, précise M. Venkatesh. Le travail de Stacey et Victoria montre comment il est possible de continuer à faire preuve d’inclusion malgré la pluralité des voix qui s’expriment en cette ère de valorisation des cloisonnements au détriment de la poursuite du savoir. »
Pour découvrir ce que prépare le Bureau de la recherche non compétitive, écrivez à noncompetitive.research@gmail.com.
Apprenez-en davantage sur le Département d’éducation artistique de Concordia et sur le Centre d’études sur l’apprentissage et la performance.