Des chercheurs de l’Université Concordia ont découvert que l’agréable odeur du sol humide avertit les vers mangeurs de bactéries d’un danger
L’odeur de la géosmine est incomparable : c’est l’odeur qui imprègne l’air après une averse estivale ou qui vous emplit les narines quand vous jardinez. C’est l’odeur du sol humide, une odeur de terre, presque réconfortante.
Mais, comme le souligne une nouvelle étude publiée dans le journal Applied and Environmental Microbiology, cette odeur a aussi un objectif bien particulier. Elle est produite par certains types de bactéries connues pour leur production de toxines. Ces toxines agissent comme un signal d’alerte pour les C. elegans, un type de ver courant, les prévenant que les bactéries qu’ils sont sur le point de consommer sont toxiques. Ce composé chimique constitue un signal aposématique activant le goût chez le ver, tout comme les couleurs vives d’une chenille ou les épines d’un poisson-globe avertissent un prédateur en vue de ne pas s’approcher.
Ne faisant que quelques millimètres de long, les nématodes comme les C. elegans sont minuscules, mais présents partout sur Terre, y compris en Antarctique. Les nématodes sont également l’espèce animale la plus répandue sur Terre, représentant près de quatre cinquièmes de la population animale mondiale. Les chercheurs utilisent souvent les C. elegans comme organisme modèle dans leurs études, car leurs systèmes biologiques sont moins complexes, mais similaires à ceux des humains.
« Grâce à notre étude, nous avons découvert que la géosmine présente dans la Streptomyces coelicolor, une bactérie toxique pour les C. elegans, ne semble pas jouer un autre rôle que celui de signal », explique Brandon Findlay, professeur agrégé au sein du Département de chimie et de biochimie et auteur responsable de la supervision de la publication. « Elle n’aide pas les cellules à se développer, à manger ni à se diviser. Elle ne repousse pas directement les prédateurs. Elle semble uniquement agir comme signal d’alerte. » Il indique ne pas connaître d’autres composés chimiques produits par des bactéries agissant de cette façon.
L’étude a été dirigée par Liana Zaroubi (M. Sc. 2021), une étudiante de Brandon Findlay, poursuivant actuellement ses études de doctorat à l’Université Simon Fraser.
Une odeur de danger
Liana Zaroubi reconnaît qu’il lui a fallu du temps avant d’envisager l’idée que la géosmine était aposématique.
« Ce n’était pas du tout évident », explique-t-elle. « J’ai écarté de nombreuses hypothèses avant de découvrir que la géosmine agissait comme signal d’alerte. Cependant, chaque expérience non concluante nous fournissait des indices importants qui nous ont aidés à élucider le mystère que représente la géosmine. Nous avons suivi la science et je crois que c’est ce qui a permis cette découverte. »
Les chercheurs ont utilisé plusieurs souches de C. elegans pour vérifier leur hypothèse. D’abord, ils ont observé le mouvement et le comportement des vers sur des plaques de gélose sur lesquelles il y avait de la géosmine, mais pas la bactérie. Dans ce cas-ci, les vers réagissaient négativement à la présence du composé, se déplaçant rapidement et changeant souvent de direction. Cependant, il a été observé que les nématodes mutants n’étant pas dotés du neurone chimiosensoriel ASE, dédié au goût, se comportaient normalement. La géosmine en elle-même est apparue comme n’étant pas toxique pour les C. elegans.
Une autre expérience incluant la bactérie Streptomyces coelicolor a été développée. Les chercheurs ont observé que les vers évitaient leur proie quand ils pouvaient goûter la présence de géosmine. Mais ceux n’étant pas dotés des neurones ASE dévoraient la bactérie toxique, entraînant des conséquences fatales prévisibles à la fois pour le prédateur et la proie.
Un goût d’évolution
La géosmine est un composé très âcre, détectable par les humains à cinq parties par trillion. Alors que beaucoup trouvent cette odeur agréable, il s’agit également d’un contaminant créé par des bactéries courant dans l’eau destinée à la consommation humaine pouvant faire que l’eau a un goût de terre.
L’étendue des applications biologiques de la géosmine n’est toujours pas totalement comprise. Cependant, les chercheurs croient que le composé donne un aperçu de la façon dont les bactéries et leurs prédateurs interagissent et de l’évolution des comportements, comme l’évitement des toxines.
En plus de Liana Zaroubi et de Brandon Findlay, ont contribué à l’étude Imge Ozugergin, étudiante au doctorat, Karina Mastronardi (Ph. D. 2021), Anic Imfeld, candidate au doctorat, Chris Law, Centre de microscopie et d’imagerie cellulaire, Yves Gélinas, professeur au Département de chimie et de biochimie, et Alisa Piekny, professeure agrégée au Département de biologie.
Lisez l’article cité : « The ubiquitous soil terpene geosmin acts as a warning chemical ».