L’abondance d’abeilles mellifères menace la population d’abeilles sauvages en ville, indique une nouvelle étude de l’Université Concordia
Qui n’a pas déjà reçu en cadeau un pot de miel offert par une connaissance ou un proche s’étant mis à l’apiculture urbaine au cours de la dernière décennie? S’il s’agit là d’une douce attention, l’adoption de ce type d’agriculture urbaine pourrait menacer la biodiversité locale.
Dans un récent article paru dans la revue PeerJ, une équipe menée par des chercheuses de l’Université Concordia affirme que l’expansion rapide de l’apiculture urbaine pourrait avoir des effets néfastes sur les populations d’abeilles sauvages environnantes. Selon leur analyse, les abeilles de petite taille, qui ont un rayon de butinage limité, seraient particulièrement à risque.
L’équipe de recherche a comparé des données relatives aux populations d’abeilles collectées à divers endroits sur l’île de Montréal en 2013 aux données recueillies aux mêmes endroits à l’été 2020.
« Nous avons découvert qu’aux endroits où la population d’abeilles mellifères a le plus augmenté au fil du temps, le nombre d’espèces d’abeilles sauvages est le plus bas », expose Gail MacInnis, ancienne chercheuse postdoctorale de l’Université Concordia et auteure principale de l’étude. Ses coauteurs sont Étienne Normandin, de l’Université de Montréal, et Carly Ziter, professeure adjointe au Département de biologie.
D’après le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, le nombre de colonies d’abeilles mellifères sur l’île de Montréal a été multiplié par douze de 2013 à 2020, passant de 250 à près de 3 000. L’équipe de recherche souligne que les abeilles mellifères (ou domestiques) ne sont pas une espèce indigène. Elles entrent en concurrence avec près de 180 autres espèces d’abeilles identifiées en 2012-2013 pour les ressources telles que le pollen et le nectar.
Invasives et voraces
L’équipe de recherche s’est rendue dans 15 lieux de l’île de Montréal reconnus pour attirer les pollinisateurs, dont des jardins communautaires, des cimetières et de grands parcs urbains. Afin de prélever ses échantillons, elle a utilisé un système normalisé de batteries de pièges – composé d’un assemblage de trois coupelles colorées conçues pour attirer les abeilles – et des filets. Chaque lieu a été visité à cinq reprises entre la fin de juin et le début de septembre 2020, ce qui a permis d’obtenir un échantillon de 6 200 abeilles. L’équipe a aussi évalué d’autres facteurs importants qui influent sur les populations d’abeilles sauvages, comme l’habitat et la disponibilité de ressources florales.
Parmi les abeilles capturées en 2020, environ 4 000 appartenaient à 120 espèces sauvages et environ 2 200 étaient de type mellifère. À titre de comparaison, les 5 200 abeilles capturées à des endroits similaires en 2013 appartenaient presque exclusivement à 163 espèces sauvages.
Des analyses statistiques ont été effectuées sur la diversité des abeilles sauvages, les caractéristiques des abeilles et l’abondance des abeilles mellifères, la composition des communautés d’abeilles sauvages ainsi que la diminution du pollen dans les différents lieux en 2020. Des analyses similaires ont aussi été effectuées pour comparer les communautés d’abeilles de 2013 et 2020.
L’équipe a découvert que la richesse en espèces sauvages diminuait considérablement là où les abeilles mellifères abondaient, mais qu’elle restait sensiblement la même depuis 2013 dans les zones où la population d’abeilles mellifères était moins importante. Elle a aussi constaté que l’abondance d’abeilles mellifères était associée à une diminution du pollen dans les fleurs de trèfle blanc.
Un passe-temps pas si anodin
Mme MacInnis indique que l’absence de registre et la réglementation lacunaire compliquent la tâche aux chercheuses et chercheurs qui s’intéressent aux populations d’abeilles. Selon elle, connaître la densité des colonies d’abeilles mellifères est crucial, car une seule colonie peut compter jusqu’à 50 000 individus.
« Si nous souhaitons entretenir de grandes populations d’abeilles, nous devons garantir des sources de nourriture suffisantes, mais aussi surveiller la densité de population. Surtout en ce qui a trait aux abeilles à usage commercial, sujettes à une multitude de maladies, commente-t-elle. Cela peut devenir d’autant plus problématique quand un grand nombre de novices ayant peu d’expérience avec l’endiguement des pestes comme les acariens, virus et autres pathogènes s’adonne à l’élevage d’abeilles dans un même secteur. »
« L’apiculture fournit un produit agricole précieux – le miel –, mais le fait que son pendant urbain soit souvent faussement vendu comme une solution à la perte de biodiversité m’inquiète, ajoute la Pre Ziter. De la même manière qu’on n’installerait pas des poulaillers pour sauver les oiseaux, on ne devrait pas voir l’apiculture comme une façon de sauver les abeilles. Il est important que nos actions concordent avec nos visées et motivations; si nous voulons augmenter la biodiversité urbaine, nous ferions bien mieux de planter des jardins pour pollinisateurs que d’installer plus de ruches. »
Cette recherche a bénéficié de subventions de Mitacs, de Bayer CropScience Canada et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada.
Lisez l’article cité (en anglais) : « Decline in wild bee species richness associated with honey bee (Apis mellifera L.) abundance in an urban ecosystem »