L’écart d’appréciation est bien réel pour les locuteurs de l’anglais langue seconde, montre une nouvelle étude de l’Université Concordia
Selon une récente étude du Laboratoire de linguistique appliquée de l’Université Concordia, la plupart des gens sont souvent trop sévères envers eux-mêmes lorsqu’ils s’expriment dans une langue seconde.
Dans un article publié par la revue Languages, la doctorante Rachael Lindberg et ses coauteurs s’appuient sur la compréhension antérieure de la métaperception des individus, c’est-à-dire l’idée qu’une personne se fait de la façon dont elle est perçue par les autres.
L’idée selon laquelle les gens sous-estiment fréquemment à quel point ils sont sympathiques, connue sous le nom d’écart d’appréciation, est bien établie. Mais la nouvelle étude est la première à l’examiner chez des locuteurs d’une langue seconde après une conversation en anglais.
« Nous avons constaté que l’écart d’appréciation existait chez les locuteurs de l’anglais langue seconde tout comme chez les locuteurs de l’anglais première langue, indique Mme Lindberg. En moyenne, les personnes participantes sous-estimaient à quel point elles étaient appréciées dans une mesure d’environ 14 points de pourcentage. »
D’après la chercheuse, l’écart d’appréciation est courant, mais peut avoir des effets négatifs importants sur les locuteurs d’une langue seconde. Dans le cadre de l’étude, de nombreux participants étaient des étudiants internationaux, un groupe qui se sent généralement isolé, déconnecté et dépourvu d’un sentiment d’appartenance.
Implications sociales et universitaires
Les chercheurs ont recruté 76 étudiantes et étudiants universitaires parlant l’anglais langue seconde et les ont regroupés en un nombre à peu près égal de dyades femme-femme, homme-homme et femme-homme, chaque personne ayant des antécédents linguistiques différents.
Les paires ont reçu de courts textes à lire et à discuter pendant dix minutes, et ont ensuite été invitées à remplir des formulaires évaluant leur interaction sur des échelles de 0 à 100.
Le questionnaire était divisé en trois parties.
La première demandait à la personne interrogée d’évaluer sa personne partenaire selon trois critères :
- l’impression générale qu’elle avait de sa personne partenaire (par exemple, à quel point elle l’appréciait et si elle aimerait interagir de nouveau avec cette personne).
- les compétences orales de sa personne partenaire (dans quelle mesure la personne partenaire s’exprimait bien et avec quelle aisance).
- son comportement (à quel point la personne partenaire collaborait avec la personne interrogée et faisait en sorte qu’elle se sente à l’aise).
La deuxième partie demandait à la personne interrogée de répondre à des questions similaires, mais cette fois dans une perspective de métaperception (c’est-à-dire d’estimation des impressions de sa personne partenaire) : quelles étaient les impressions de la personne partenaire sur elle, sur ses compétences en matière d’expression orale et sur son comportement?
La dernière partie portait sur les futures interactions universitaires et sociales potentielles. La personne interrogée aimerait-elle participer à des groupes d’étude, partager des notes de cours ou passer du temps en dehors des cours avec sa personne partenaire?
« Dans toutes les paires, les gens sous-estimaient à quel point ils étaient appréciés, explique Rachael Lindberg. Mais seules les femmes sous-estimaient leurs capacités d’expression orale et leur comportement d’interaction, dans une proportion de 16 à 17 %, et ce, quel que soit le genre de leur partenaire. »
Elle ajoute que la volonté des participantes d’interagir avec leur personne partenaire à l’avenir dépendait de la mesure dans laquelle elles croyaient que leur personne partenaire les appréciait ainsi que leur comportement interactionnel.
Ces résultats pourraient avoir des implications importantes pour l’effectif étudiant d’universités comme Concordia, qui comptent un grand nombre d’étudiants internationaux dont la langue maternelle n’est pas l’anglais.
« Cette insécurité pourrait avoir des conséquences sur leur intégration universitaire et sociale, précise Rachael Lindberg. Une réticence à rechercher les interactions avec d’autres étudiants parce qu’ils croient qu’ils ne seront pas appréciés peut faire obstacle à des interactions potentiellement bénéfiques qui pourraient favoriser des relations enrichissantes et le développement de leurs compétences en langue seconde. »
Les coauteurs de l’étude sont Pavel Trofimovich et Kim McDonough, tous deux professeurs au Département des sciences de l’éducation, ainsi que les doctorantes Anamaria Bodea, Thao-Nguyen Nina Le et Chaoqun Zheng.
Le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada a financé l’étude.
Lisez l’article cité : « I Don’t Think You Like Me: Examining Metaperceptions of Interpersonal Liking in Second Language Academic Interaction ».