Au terme d’un long conflit en Colombie, les jeunes du pays sont partagés entre cynisme et espoir, selon une nouvelle étude
Après de nombreuses tentatives pour rétablir la paix, le gouvernement colombien et les FARC, le plus important groupe de guérilla de gauche, ont signé un accord de paix en 2016. Bien que les Colombiens aient été profondément divisés sur les perspectives du traité au moment de sa signature, cet accord a mis fin à six décennies de conflit armé au cours desquelles des centaines de milliers de Colombiens, dont 80 % de civils, ont péri. En ce qui concerne la perspective du retour à la paix, le scepticisme et l’espoir s’opposaient, incluant parmi les jeunes citadins de Bogotá, capitale de la Colombie.
Une étude récemment publiée s’intéresse au point de vue des jeunes Colombiens sur le conflit et ses conséquences, mettant en lumière à la fois leur scepticisme et l’espoir d’un retour à la normale au pays. L’article publié dans la revue Political Psychology est le fruit d’un travail de recherche dirigé par Laura Pareja Conto (M.A. 2023) et Holly Recchia, professeure au Département des sciences de l’éducation de la Faculté des arts et des sciences.
L’étude a révélé un profond cynisme à l’égard de l’accord de paix, une désillusion générale vis-à-vis du système politique du pays et une méfiance envers le gouvernement et les FARC. Toutefois, elle a également montré que la plupart de ces jeunes appuyaient le processus de paix, 57 % d’entre eux exprimant l’espoir de sa réussite.
Les jeunes ont en outre manifesté un vif désir de voir s’améliorer les conditions de vie des victimes du conflit, d'engager la responsabilité et d’obtenir réparation pour enfin sortir de ce cycle de violence en apparence insoluble.
La majorité des élèves interrogés ont d’ailleurs déclaré avoir une compréhension limitée de l’histoire du conflit armé colombien, ce qui, selon les chercheurs, constitue un point d’intervention possible, tandis que le pays cherche à reconstituer un récit plus complet des événements et des causes profondes à l’origine du conflit.
Divisés, mais pleins d’espoir
Les données ont été recueillies en 2018 dans le cadre d’entretiens réalisés auprès de 77 adolescents au sein de deux écoles secondaires de Bogotá. L’équipe de recherche a privilégié des écoles publiques situées dans des quartiers de statut socio-économique faible à moyen afin de refléter la réalité de la majorité des résidents de la ville.
« À ce moment-là, la Colombie était très polarisée. Le pays était en pleine élection présidentielle et les divisions découlant du plébiscite sur l’accord de paix étaient encore palpables, explique Mme Pareja Conto. Dans cette étude, nous voulions explorer au-delà de cette division pour cerner les préoccupations et les tensions qui caractérisent la perception qu’ont les jeunes du conflit armé et du processus de paix. »
« Nous n’avons pas été surpris du degré de cynisme observé, compte tenu de l’histoire du conflit en Colombie et de la corruption qui entache les différents systèmes et institutions politiques du pays, ajoute la Pre Recchia. Ce sentiment témoigne de la bonne compréhension qu’ont les jeunes de leurs réalités sociales. Mais nous avons aussi constaté que ce cynisme s’accompagnait d’une volonté d’améliorer la vie des personnes touchées, de rétablir les relations et de mettre fin à la violence – c’est ce qui a été le plus révélateur pour nous. »
Selon la Commission de la vérité colombienne, près de 8 millions de Colombiens ont été déplacés entre 1985 et 2019. À ce jour, Bogotá est la ville qui a accueilli le plus grand nombre de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays. Pour protéger la vie privée et le bien-être des personnes participantes, les chercheuses se sont abstenues de leur poser des questions sur leur expérience personnelle du conflit.
Les jeunes ont plutôt été interrogés sur leur connaissance des enjeux entourant le conflit, sur le traité de paix et sur la façon dont celui-ci était abordé dans la sphère publique. Ils ont également été invités à décrire les discussions qu’ils avaient eues avec d’autres personnes au sujet du conflit et du processus de paix. Les entretiens avec les élèves comportaient uniquement des questions ouvertes.
Chaque personne participante s’est vu présenter deux scénarios hypothétiques, mais réalistes décrivant des événements préjudiciables ayant entraîné des pertes humaines ou des dommages aux infrastructures. On leur a ensuite demandé de trouver la meilleure façon de réparer ces dommages et de justifier leurs propositions. Leurs réponses ont ensuite été codifiées et analysées.
La démarche n’avait pas pour but de dresser un portrait de la jeunesse colombienne faisant autorité, précise l’équipe de recherche. Il s’agit plutôt d’une analyse sociopolitique et psychologique des adolescents colombiens vivant en milieu urbain à une certaine époque dans un certain milieu.
Une humanité commune
Mme Pareja Conto reconnaît que son pays reste divisé, mais qu’il a fait des progrès considérables depuis la signature de l’accord de paix. Des initiatives pédagogiques sur le thème de la paix sont mises en œuvre dans les écoles colombiennes, ce qui permet de mener des discussions nuancées en classe sur des questions délicates comme la justice et la réconciliation.
Cette recherche pourrait d’ailleurs trouver écho dans d’autres pays que la Colombie, compte tenu de la regrettable prévalence des conflits dans le monde entier.
« Les données indiquent clairement que même lorsque les gens ont des points de vue opposés, il est possible de trouver un terrain d’entente. D’un bout à l’autre de l’échiquier politique, les jeunes partagent des préoccupations fondamentales concernant le rétablissement des victimes et la nécessité de mettre un terme aux cycles de violence », ajoute-t-elle.
« C’est une réaction humaine que d’exprimer de l’empathie pour des personnes ayant subi de grandes pertes, mais au-delà de ce sentiment, les jeunes sont très nuancés dans les solutions optimales qu’ils proposent pour le rétablissement de la paix. »
Ont collaboré à cette étude Angelica Restrepo de l’Université Concordia, Gabriel Velez de l’Université Marquette, Roberto Posada-Gilede de l’Université nationale de Colombie et Cecilia Wainryb de l’Université de l’Utah.
Cette étude a bénéficié de l’appui du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du programme de chaires de recherche de l’Université Concordia.
Lisez l’article cité (en anglais) : « Urban Colombian youths’ perspectives on the armed conflict and possibilities for ways forward »