L’intégration économique est un important facteur de nivellement des préférences de la population québécoise en matière d’immigration, selon une nouvelle étude
La politique d’immigration canadienne fondée sur un système de points, qui prend principalement en considération les compétences professionnelles plutôt que le pays d’origine, définit l’approche du pays en matière d’accueil des nouveaux arrivants depuis sa mise en œuvre, en 1967. Cette politique s’applique également au Québec qui, fait unique parmi les provinces canadiennes, administre son propre système d’immigration tout en accordant la priorité à la maîtrise de la langue française.
L’immigration a de tout temps été perçue favorablement par les populations canadienne et québécoise en raison de la contribution des nouveaux arrivants à la croissance démographique et économique.
Cependant, il reste de larges segments de la population qui préfèrent accueillir des immigrants venant de pays dont la composition ethnique, culturelle et religieuse est semblable au leur.
Dans un article publié récemment dans un numéro spécial du Journal of Ethnic and Migration Studies, les auteurs se demandent si une plus grande intégration économique et culturelle pourrait contrebalancer les préjugés bien ancrés à l’égard des personnes immigrantes dont les origines diffèrent de celles de la majorité de la population hôte — dans ce cas-ci, celle du Québec.
Après avoir effectué un sondage auprès de 2 400 Québécois nés au Canada et s’identifiant comme blancs et francophones, les chercheurs ont constaté que même si la préférence pour le critère d’admissibilité fondé sur le pays d’origine persiste chez les répondants, elle peut se voir tempérée lorsqu’entrent en ligne de compte des considérations liées à la classe sociale et à la contribution attendue des personnes immigrantes à la prospérité économique de la province.
« Le système de points n’a pas éliminé la préférence pour le critère d’admissibilité fondé sur le pays d’origine, ce à quoi nous nous attendions », affirme Antoine Bilodeau, professeur au Département de science politique et coauteur de l’article avec Audrey Gagnon (Ph. D. 2023), maintenant postdoctorante à l’Université d’Ottawa. « Mais lorsque les Québécois constatent que l’intégration économique fonctionne, ils veulent que les personnes immigrantes s’établissent ici même si elles ne viennent pas de leur pays de préférence, ce qui est parfaitement dans l’esprit du système de points. »
Évaluer des gens et non des pays
Pour les besoins de leur étude, les chercheurs ont créé six profils d’un homme francophone fictif de 34 ans candidat à l’immigration au Québec. Les seuls autres renseignements fournis étaient le pays d’origine — la France ou l’Algérie, deux pays qui figurent parmi les principales sources d’immigration de la province — ainsi qu’une vague description de la profession du candidat indiquant la classe sociale associée à cette profession. Il pouvait s’agir d’un préposé à l’entretien des classes inférieures, d’un technicien en informatique de la classe moyenne ou d’un homme d’affaires prospère des classes supérieures.
On demandait aux personnes répondantes de se mettre dans la peau d’une ou d’un agent d’immigration chargé d’évaluer l’admissibilité du candidat à partir d’une combinaison de variables. Chaque personne répondante ne disposait que d’un seul profil et d’aucune photo. Les candidats français et algériens étaient décrits comme ayant une maîtrise équivalente du français, ce qui a permis de neutraliser cet enjeu linguistique aux lourdes connotations politiques.
Dans l’ensemble, 95 % des candidats à l’immigration ont obtenu une note leur permettant d’être admis au Québec.
« Nous avons été étonnés de constater que la question de l’origine nationale n’avait pas eu une incidence aussi importante que nous l’aurions cru », indique Antoine Bilodeau.
La France demeure le pays préféré par une marge statistiquement significative, mais toutes classes sociales confondues, la différence ne dépasse pas les 5 ou 10 %. Les immigrants des classes moyennes et supérieures sont préférés à ceux issus des classes inférieures.
« Nous soupçonnons que l’une des raisons qui expliquent ces résultats est le facteur humanisation », explique Antoine Bilodeau. « Nous présentons une personne, pas seulement une nationalité. De plus, comme les personnes répondantes sont censées être des représentants gouvernementaux, il est possible qu’un souci de professionnalisme ait eu pour effet d’atténuer les stéréotypes et les préjugés individuels. »
Nettement, la probabilité qu’une personne candidate intègre le marché du travail et contribue à la prospérité économique de la province a joué un rôle important dans les évaluations. Plus les nouveaux arrivants étaient susceptibles de s’intégrer, plus l’évaluation était favorable, indépendamment de l’origine nationale ou de la classe sociale.
« Pour ce qui est de l’intégration économique, les résultats sont les mêmes pour tous : la différence de classe sociale n’a eu aucun effet, pas plus que l’origine nationale. Si vous êtes perçu comme une personne intégrée économiquement, vous serez récompensé de la même manière, que vous veniez de France ou d’Algérie. »
À partir de ces résultats, les auteurs concluent que le système de points appliqué au Canada et au Québec fonctionne globalement comme prévu, jusqu’à un certain point.
« Le système ne peut pas contourner complètement le fait que les gens ont des préférences, des affinités ou des insécurités plus grandes à l’égard de certains groupes. Mais ces préférences ne sont pas insurmontables, et nous savons qu’elles ne sont pas propres au Québec. »
Lisez l’article cité : Overcoming origin-based preferences by selecting skilled immigrants? Preferences in immigrants’ national origin and social class in Quebec.