De nouvelles routes maritimes permettent d’éviter la taxe carbone et les risques liés à la mer Rouge, selon une nouvelle étude de l’Université Concordia
L’instabilité politique et militaire qui règne en mer Rouge et dans l’est de la Méditerranée a contraint les compagnies maritimes internationales à modifier l’itinéraire du fret en provenance d’Asie vers l’Europe. En conséquence, les navires marchands empruntent de plus en plus souvent la route la plus longue, la plus coûteuse et la plus polluante pour atteindre leurs destinations autour du cap de Bonne-Espérance.
Cette situation entraîne non seulement des retards et une hausse des tarifs de transport maritime, mais elle contribue également à l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre et à la montée en flèche d’un phénomène appelé « fuite de carbone » : les entreprises déplacent leurs activités en dehors des territoires appliquant des politiques strictes de lutte contre les changements climatiques afin d’éviter la hausse des coûts liés à ces changements.
Dans une nouvelle étude menée par Concordia et publiée dans la revue Environmental Research Letters, l’équipe de recherche soutient que les entreprises de transport maritime sont plus susceptibles d’utiliser des points de transbordement dans des ports comme ceux de Durban, en Afrique du Sud, et d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, afin d’échapper à la taxe carbone onéreuse imposée par les nouvelles règles de l’Union européenne.
En janvier 2024, le système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (SEQE-UE) – un mécanisme de plafonnement et d’échange conçu pour encourager les pollueurs à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre – a été étendu aux émissions de CO2 de tous les grands navires entrant dans les ports de l’UE, quel que soit leur pavillon ou leur port d’origine. Une tonne d’émissions de CO2 coûte environ 100 euros.
Le système, qui sera déployé progressivement sur trois ans, s’appliquera à terme à 50 % de toutes les émissions liées aux voyages qui commencent ou se terminent en dehors de l’UE et à 100 % des émissions produites entre deux ports et à l’intérieur des ports de l’UE.
Mais comme l’indique l’équipe de recherche, les compagnies maritimes délaissent la mer Rouge pour se tourner vers l’Afrique du Sud et d’autres régions du monde. Cette stratégie leur permet non seulement d’éviter cette zone instable, où la sécurité maritime est menacée par les récentes opérations militaires au Moyen-Orient, mais aussi de transférer leur cargaison d’un navire à un autre à destination de l’Europe. En vertu de la réglementation de l’UE, seules les émissions du deuxième trajet seront assujetties au coût des droits d’émission du SEQE.
« La crise de la mer Rouge offre aux compagnies maritimes un plus grand nombre d’options pour déplacer et réorganiser leurs activités de transbordement afin d’éviter la taxe carbone. »
Par conséquent, le propriétaire d’un porte-conteneurs quittant Singapour à destination de Rotterdam en passant par le canal de Suez devrait payer un droit sur 50 % de ses émissions résultant d’un voyage de 12 000 milles nautiques. En revanche, si le même navire en provenance de Singapour arrive à Durban, en Afrique du Sud, et transfère sa cargaison sur un navire à destination de Rotterdam, il ne devra payer un droit d’émission que pour un trajet de 7 000 milles nautiques.
« La crise de la mer Rouge offre aux compagnies maritimes un plus grand nombre d’options pour déplacer et réorganiser leurs activités de transbordement afin d’éviter la taxe carbone, explique He Peng, doctorant en génie environnemental à l’École de génie et d’informatique Gina-Cody. Cette étude présente les deux pôles qui peuvent faciliter les fuites de carbone dans l’industrie du transport maritime. »
« En tant qu’ingénieurs, nous ne pouvons nous pencher que sur la partie technique de l’évaluation des émissions de carbone et tenter de trouver une solution », ajoute Chunjiang An, professeur au Département de génie du bâtiment, civil et environnemental. Il a cosigné l’article avec Meng Wang, qui enseigne à l’Université d’État de la Pennsylvanie.
« Nous ne pouvons pas mettre fin aux guerres, mais nous pouvons proposer un résumé et quelques suggestions pour nous aider à nous adapter à un monde en mutation et, nous l’espérons, à réduire les émissions de carbone. »
Consulter l’article cité (en anglais) : « Implied threats of the Red Sea crisis to global maritime transport: amplified carbon emissions and possible carbon pricing dysfunction »