Les émissions de jetons et les efforts de mobilisation du vote ont insufflé une pertinence aux cryptoactifs PolitiFi en 2024, selon une équipe de recherche de Concordia
Les élections américaines de 2024 ont été mémorables à plusieurs égards, en particulier avec l’apparition des cryptoactifs PolitiFi. Cette nouvelle forme de cryptomonnaies mèmes explicitement affiliées à une candidature politique puise dans la culture et l’humour du Web. Les plus populaires ont été le MAGA, qui appuyait la campagne de Donald Trump, et le BODEN, rattaché à l’équipe Biden/Harris.
Dans un article publié dans la revue Finance Research Letters, trois chercheurs de l’Université Concordia se penchent sur la croissance des cryptoactifs PolitiFi et explorent en quoi ce phénomène a contribué à façonner les récits, à accroître la visibilité des candidats, et surtout à stimuler l’engagement politique de l’électorat dans la cryptosphère.
« Créé à l’origine en guise de plaisanterie, ce type de jetons s’est graduellement muté en une sorte de badge d’honneur permettant d’afficher ses convictions politiques », explique l’auteur principal, Stéphane Sévigny, doctorant à l’École de gestion John-Molson dont les travaux portent sur les actifs numériques.
« Or, ces cryptoactifs ont vu leur capitalisation boursière exploser, surtout au début de 2024, quand les campagnes électorales ont commencé à s’intensifier. »
À mesure que la course progressait et que les cryptomonnaies devenaient un enjeu électoral, les jetons affiliés à des partis politiques ont suscité un degré d’intérêt inusité de la part des spéculateurs. On a vite constaté qu’ils éclipsaient les mèmes habituels en termes de valeur et, dans certains cas, que cette valeur servait à soutenir financièrement les campagnes des candidats. À son plus haut niveau, le jeton MAGA affichait une capitalisation boursière d’environ 750 millions de dollars américains.
« Les jetons ont commencé pour ainsi dire à prendre vie », décrit le doctorant.
La politique comme moteur du marché
L’équipe de recherche a mené une étude d’incidence sur deux moments clés de la campagne, dont les répercussions sur les jetons MAGA et BODEN ont été très différentes. D’après ses résultats, l’opinion politique s’est exprimée dans une certaine mesure par un comportement d’investisseur.
« Quand Donald Trump a été la cible d’un tir par arme à feu en juillet, nous avons vu le soutien aux jetons affiliés aux républicains augmenter considérablement, et celui des jetons associés aux démocrates décliner », indique Juliane Proelss, coauteure de l’étude et professeure agrégée au Département de finance. « Or, l’inverse s’est produit lorsque Joe Biden a été remplacé par Kamala Harris un peu plus d’une semaine après. »
D’après les analyses des chercheurs, la valeur des jetons affiliés aux républicains a augmenté de 15 % après la tentative d’assassinat, tandis que celle des jetons liés aux démocrates a diminué d’environ 9 %. Quand Joe Biden a quitté la course à la présidence, les jetons républicains ont baissé de 1 %, alors que les jetons démocrates ont enregistré une chute de 45 %.
« Ainsi, les spéculateurs semblent avoir utilisé les jetons PolitiFi pour exprimer leur opinion et soutenir le candidat de leur choix », déduit la professeure Proelss.
Selon Stéphane Sévigny, le camp Trump a mieux su mettre à profit le phénomène PolitiFi pour sensibiliser les groupes démographiques avec lesquels le candidat et les autres républicains ont souvent eu du mal à interagir. Il a ainsi obtenu de meilleurs résultats que les républicains traditionnels auprès des jeunes hommes ayant fait des études universitaires, et notamment auprès d’une proportion relativement élevée d’électeurs noirs et hispaniques.
« Étant particulièrement opportuniste, il a su déceler cette lacune et a commencé à parler du manque de réglementation dans ce domaine. Cela l’a peut-être aidé à renverser la tendance dans l’opinion publique », commente M. Sévigny.
Faible aujourd’hui, fort demain
D’après Stéphane Sévigny, même si les jetons PolitiFi ont vu le jour aux États-Unis, il y a peu de chances qu’ils jouent un rôle majeur durant les prochaines élections canadiennes. En revanche, ils pourraient s’imposer au sein de grandes démocraties dont les règles sont plus souples en matière de financement électoral, comme en Amérique du Sud.
Bien que les jetons de la campagne 2024 aient perdu près de 90 % de leur valeur depuis la fin des élections, les chercheurs estiment que les cryptoactifs PolitiFi demeureront un facteur à prendre en compte dans de futures campagnes électorales, que ce soit comme moyen de financement ou comme outil de mobilisation de l’électorat. Il se pourrait d’ailleurs que les deux principaux partis politiques américains émettent leurs propres jetons officiels afin de les utiliser de manière cyclique, tous les deux ou quatre ans.
« Ce sera comme acheter une casquette ou un drapeau », conclut Juliane Proelss, professeure Jacques-Ménard-BMO sur les marchés des capitaux. « Après les élections, vous pourrez garder ces jetons quelque part dans votre armoire numérique, et les ressortir aux prochaines élections. »
Denis Schweizer, professeur au Département de finance de l’École de gestion John-Molson, est également coauteur de l’article.
Lisez l’article cité : PolitiFi: Just another meme, or instrumental for winning elections?